Fleurs de Paris
monstrueuse de
Biribi.
L’aspect de La veuve la rassura presque… Et
pourtant, elle avait sujet de redouter La Veuve autant que Biribi.
Mais La Veuve n’était qu’une femme. Marie Charmant lui avait rendu
plus d’un service de bon voisinage… Enfin, elle fut à demi
rassurée, et entrevit que La Veuve venait pour lui rendre la
liberté.
La Veuve, sans un mot, s’avança sur elle.
Alors Marie Charmant crut lire sur ce visage
livide une implacable résolution. D’un mouvement de retraite prompt
comme tous les gestes inspirés par l’instinct de vivre, elle se
jeta derrière une table qui devint ainsi une provisoire
barricade.
– Qu’est-ce qui te prend ? fit La
Veuve de sa voix âpre et doucereuse à la fois.
– Vous en avez de bonnes, dites
donc ! répondit Marie Charmant. Vous m’apparaissez tout à
coup, avec des quinquets pires que de l’électricité, avec un air de
tout dévorer… j’ai eu peur…
– Comment as-tu fait pour entrer dans le
galetas ?
– Ça vous a épatée, hein ? fit la
bouquetière en riant. Je suis entrée par la porte…
– Oui, mais comment ?… Et surtout,
pourquoi as-tu eu l’idée d’entrer ?
– Comment j’ai ouvert ? Mais avec
des fausses clefs, pardine !
– Tiens ! tiens !
songea-t-elle, dommage, que je n’ai pas su cela plus tôt : on
lui donnerait le bon Dieu sans confession, à cette petite, et elle
manœuvre des fausses clefs ! Oui, dommage que je sois obligée
de m’en débarrasser… elle eût fait une excellente petite femme pour
Biribi… avec un peu d’éducation… Voyons, est-ce qu’il n’y aurait
pas moyen d’éviter ce crime inutile ?
– À quoi pensez-vous, La Veuve ?
– À ton avenir, ma fille. Si tu veux être
franche avec moi, je puis t’aider, te tirer de la misère où tu
végètes… Voyons, est-ce que tu n’en as pas assez de courir les
rues, ton panier au bras, en
criant : « Fleurissez-vous, mesdames !… »
Une jolie fille comme toi, ce n’est pas fait pour ce dur métier. Tu
dois avoir un rêve… Raconte-moi ce que tu voudrais être, ajouta La
Veuve en s’asseyant.
– Eh bien ! c’est vrai, La
Veuve ! dit Marie Charmant tout à fait rassurée, j’ai un rêve,
ou plutôt j’en ai eu un… Tous les jours je passe sur les boulevards
ou bien rue Royale, et tous les jours je reste à contempler la
devanture de quelque fleuriste à la mode, tantôt l’une, tantôt
l’autre. Et mon rêve c’était d’avoir, moi aussi, une belle
boutique… oh ! pas sur les boulevards, c’est trop cher, mais
n’importe où ; je vous garantis que, dans tout Paris, il n’y
aurait pas d’étalage plus beau que le mien. Que voulez-vous ?
J’aime les fleurs… je les connais, les fleurs, je sais comment il
faut les prendre, chacune selon son caractère… Oui, La veuve,
j’avais fait ce rêve-là…
– Eh bien ! si tu veux, je le
réaliserai, ton rêve !
– Bah ! ça m’a passé. D’autres idées
me sont entrées dans la tête… ajouta Marie Charmant, dont le visage
se colora d’incarnat, figurez-vous que, depuis pas mal de temps,
j’entendais quelque chose comme des plaintes.
À ce moment, un bruit étouffé se fit entendre
dans l’escalier, quelqu’un montait et s’arrêtait près de la porte
pour écouter. Mais ni La Veuve, ni Marie Charmant n’entendirent ce
bruit…
– C’était, continua la bouquetière,
c’était cette pauvre petite que vous avez enfermée là. Dites donc,
La Veuve, savez-vous que si l’on prévenait la police, vous seriez
arrêtée ?
– Prévenir la police ? gronda La
Veuve en elle-même. Sois tranquille, ce n’est pas toi qui me
dénonceras !
Dès lors la résolution de La Veuve fut prise.
Mais elle voulait d’abord aller jusqu’au bout et savoir.
– Cette petite, dit-elle, est un peu
folle. C’est un service que je rends à ses parents en la
gardant.
– Un peu folle ? C’est possible.
Mais tout cela n’est pas clair. La preuve, c’est que moi-même vous
m’avez fait saisir par ce misérable et amener ici, d’où je voudrais
bien m’en aller. Allons, La Veuve, ne soyez pas méchante.
– Et que te faut-il, voyons pour ne pas
être méchante ? ricana La Veuve.
– Ce qu’il faut ? dit Marie Charmant
en riant, tandis que des larmes perlaient à ses yeux ; c’est
pourtant bien simple ; d’abord me laisser partir d’ici. Vrai,
je m’ennuie, moi…
– Ensuite ?…
– Eh bien, vous me direz : « Ma
petite
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