Fleurs de Paris
Marie, j’ai eu tort de dire à ce misérable de t’empoigner et
de te fourrer dans ce vilain trou qui ressemble à une prison,
pardonne-moi… » Et je vous pardonnerais !… Puis vous me
direz : « Ce n’est pas tout, ma petite Marie, tu vas dès
demain matin, entrer dans mon galetas, prendre cette jolie
demoiselle par le bras, essuyer ses larmes, la consoler de ton
mieux et la reconduire à son père… » Elle vous pardonnerait,
La Veuve !… Et moi aussi !… Et le baron d’Anguerrand vous
pardonnerait aussi… Voyons, est-ce dit ?…
Le visage de La Veuve se convulsa. Ses yeux
flamboyèrent.
– Ainsi, gronda-t-elle, tu sais son
nom ?…
– Valentine d’Anguerrand… elle me l’a
dit… mais qu’avez-vous, La Veuve ?… Oh ! voici vos
mauvaises pensées qui vous reprennent…
– Tu as eu tort d’entrer dans le
galetas ; tu as eu tort de voir ce que tu ne devais pas voir
et de savoir ce nom maudit… tu es de trop, tu me gênes,
comprends-tu ?
La Veuve, en parlant ainsi, s’était levée
lentement… ses mains saisissaient le rebord de la table pour la
renverser… elle dardait son regard mortel sur la pauvre fille…
mais, chose étrange, Marie Charmant ne paraissait pas effrayée…
Marie Charmant ne la regardait pas… Son regard étonné allait
ailleurs que sur La Veuve et semblait considérer quelque chose avec
stupéfaction.
D’un brusque mouvement instinctif, La Veuve se
retourna pour voir ce que voyait Marie Charmant, elle demeura
pétrifiée.
La porte venait de s’ouvrir sans bruit.
Devant cette porte se tenait un homme de haute
stature, les bras croisés, immobile et pensif…
Et cet homme, malgré les années écoulées,
malgré les cheveux grisonnants, malgré les ravages de la souffrance
sur son visage, La Veuve le reconnut à l’instant…
C’était le baron Hubert d’Anguerrand, le père
de Valentine !…
Lui aussi, sans doute, reconnut Jeanne Mareil,
car, au moment où elle se retourna, il fut agité d’un
tressaillement nerveux, et, tout à coup, il fit deux pas en
avant…
– Monsieur le baron d’Anguerrand !
gronda La Veuve dans un terrible éclat de rire. La farce est
bonne ! vous écoutiez donc ! Vous voulez donc savoir ce
que j’ai fait de votre fille !… Ce qu’est devenue la mienne,
cela vous importe peu !… Une fille de paysanne, ce n’est pas
la même chose qu’une fille de baron, n’est-ce pas ?
Hubert d’Anguerrand frémissait, muet de
stupeur, à cette apparition imprévue de son passé.
– Ce qu’est devenu mon fils, continua La
Veuve, tandis que Marie, tremblante, éperdue de terreur et
d’étonnement, se reculait dans un angle, ce qu’est devenu mon fils,
cela vous est bien égal, aussi… Vous m’avez tué mon amant, monsieur
le baron. C’est bien. Mon fils est mort. Quant à ma fille, le
diable sait ce qu’elle est devenue. Dieu me le dira un jour, soyez
tranquille… Quant à votre fille, à vous, monsieur le baron, il est
juste que vous sachiez où elle est et ce qu’elle va devenir !…
Mais ce n’est pas moi qui vous le dirai ! Un peu de patience,
car voici votre fils Gérard qui va vous renseigner !…
En même temps, La Veuve fit un bond de côté.
Hubert d’Anguerrand se jetait sur elle !… Mais, lorsqu’il
abattit ses mains pour la saisir, il vit Jeanne Mareil qui, souple
comme une vipère, se glissait vers la porte… Il se rua sur cette
porte… et tout-à-coup la porte se referma violemment. Hubert
d’Anguerrand entendit les verrous que l’on poussait… Il entendit
l’éclat de rire de Jeanne Mareil, puis, un peu plus tard, un coup
de sifflet strident.
La porte était massive et solide. Le baron
Hubert essaya vainement de l’ébranler… Lorsqu’il vit que ses
efforts étaient inutiles, il se retourna vers Marie Charmant qu’il
contempla un instant :
– Soyez rassurée, dit-il d’une voix de
douceur pénétrée. J’ai entendu. J’ai compris que vous vous
intéressiez au sort de mon enfant… Qui que vous soyez,
mademoiselle, je vous bénis… c’est un père qui vous parle… un père
bien malheureux…
Il se rapprocha de la bouquetière, lui prit
les deux mains et d’un accent profond, avec un sanglot au fond de
la gorge :
– Mademoiselle, vous avez vu ma fille…
Vous lui avez parlé… Vous savez où elle se trouve… Oh !
mademoiselle, parlez-moi de mon enfant !…
– Ça par exemple, s’écria la bouquetière,
c’en est une de veine !… Comment,
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