Fortune De France
premier cotillon faisait tourner. Totus est
Venereus [20] écrivait Calvin, qui n’avait jamais rien fondé sur lui.
Sous
Rouen il voulut, imitant la Reine mère, répondre à sa bravoure par la témérité,
et il fit dresser sa table derrière une muraille que le tir des huguenots
battait. Là-dessus, il mangea de bon appétit, et oubliant où il se trouvait, à
la fin du repas, il se leva. Une arquebusade aussitôt l’abattit. La ville
prise, il se fit porter en litière dans les rues par ses soldats pour se donner
la dernière satisfaction de voir massacrer les huguenots dont il avait été le
chef et partagé la foi. Cela fait, il mourut tout aussi sottement qu’il avait
vécu, laissant derrière lui une femme qui était l’homme de la famille et un
fils qui, pour bonheur pour la fortune de France, ressemblait à sa mère [21] .
Le
sac de Rouen fut ce qu’on peut imaginer de pire, mais Catherine de Médicis n’en
retira pas le plaisir qu’elle en attendait : Montgomery s’échappa. Il
sauta dans une galère et descendit la Seine. Apercevant la chaîne qu’à Caudebec
les catholiques avaient tendue au travers du fleuve, il promit à la chiourme la
liberté. Les forçats, en hurlant, pesèrent sur les avirons et jetèrent l’éperon
de la galère contre l’obstacle, qui céda. Montgomery atteignit la haute mer et
la côte anglaise. Cependant le destin ne l’en tint pas quitte pour autant. Deux
ans plus tard, il lui ménagea un deuxième rendez-vous avec Catherine de Médicis
et avec la mort.
En
apparence, la prise de Rouen n’était qu’un fleuron de plus ajouté à la couronne
de Guise, cette couronne dont on commençait à murmurer qu’il entendait la
substituer un jour à celle de Charles IX. Cependant, à son partement de
Rouen pour regagner Paris, le duc était des plus moroses, car la gloire du
siège, il avait dû la partager avec le connétable de Montmorency qui, au
service de trois rois, avait vieilli sans mûrir, avec le maréchal de
Saint-André qui, plus jeune que le connétable, n’avait pas plus de talents, et
même avec ce pauvre fol d’Anthoine, dont on eût dit qu’il s’était fait
arquebuser tout exprès pour parcourir la ville conquise sur sa litière, comme
un héros mourant.
À
Paris, Guise eut la surprise d’apprendre que l’armée huguenote, renforcée des
trois mille reîtres et des quatre mille lansquenets que d’Andelot avait ramenés
d’Allemagne, avait pris Étampes, La Ferté-Alais, Dourdan et Montlhéry. Certes,
ce n’était pas là grand effort de guerre : les huguenots rôdaient autour
de la capitale. Ils ne l’assiégeaient pas. Les petites villes saisies avaient
pour but de donner quelque pillerie aux reîtres et lansquenets, qui réclamaient
à grands cris leur solde. Et comme ces cris empiraient, Condé et Coligny
décidèrent de gagner la Normandie, attirés par le mirage des subsides et des
secours d’Elizabeth d’Angleterre.
Les
huguenots avançaient vers l’Ouest, très ralentis par les chariots où les
reîtres avaient entassé leur picorée. L’armée royale, s’élançant à leur suite,
les rattrapa et, malgré leur hâte, leur marchait presque sur les talons.
Coligny, craignant que les royaux ne lui donnassent sur la queue, décida Condé
de s’arrêter et de faire face. L’endroit était bien choisi : c’était la
plaine de Dreux, où Condé pouvait déployer ses cinq mille cavaliers.
Guise,
qui se tenait à la droite de l’armée royale avec ses gentilshommes et les
vieilles bandes françaises, avait décliné tout commandement, se souciant peu de
tirer à nouveau pour d’autres que lui-même les marrons du feu. Haussé sur les
étriers de son grand genet noir, redressant sa haute taille, avisant à son aise
à la ronde et comme au spectacle, il laissa sans broncher Condé et Coligny
défaire le connétable.
— Monsieur
le Duc, monsieur le connétable se fait piller !
— Je
le vois, dit Guise.
— Monsieur
le Duc, monsieur le connétable est blessé !
— Je
le vois.
— Monsieur
le Duc, monsieur le connétable est pris !
— Je
le vois.
Les
huguenots, fort occupés à hacher les battus, criaient déjà victoire, mais
Coligny désigna de son épée Guise et ses hommes immobiles sur la droite du
champ de bataille.
— Je
vois là, dit-il, une nuée qui va fondre sur nous.
Quelques
instants plus tard, Guise, jugeant les deux adversaires épuisés, se dressa à
nouveau sur ses étriers et
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