Fortune De France
gorge et lui commandant de ne branler mie
tant que Samson n’aurait refermé la porte. Quoi fait, Samson lui saisit l’autre
bras, le retourna en arrière, et lui faisant sentir sa pointe sur l’omoplate,
lui dit que j’allais la fouiller. Ce que, mettant ma dague à la ceinture, je
fis fort sérieusement d’abord, visitant le petit panier d’osier qu’elle avait à
la main (mais il était vide). Cependant, au premier palpement, le peu de
vêtement qu’elle portait, et ce peu très troué ne cachant aucune arme, ma
fouille gagna en longueur ce qu’elle perdit en rudesse.
Sarrazine
se mit à rire en se tortillant et darda sur moi un œil luisant à travers ses
cheveux de jais.
— Pardié,
mon jeune Moussu, dit-elle d’une voix à la fois rieuse et rauque, vous avez
fort grandi en quatre ans, je me pense, à voir la façon dont vous me
visitez ! Dites à votre frère roux de ne pas tant me piquer le dos.
Elle
ajouta en riant et en se trémoussant :
— Je
n’ai d’autres armes sur moi que celles qui font la perdition des hommes.
— Mais
celles-ci en abondance ! dis-je en lui jetant un regard sous lequel, de
plus belle, elle se trémoussa.
— Rengaine,
Samson, et monte la herse, repris-je en retenant Sarrazine par le bras, non par
nécessité, mais parce que sa chair ferme et fraîche plaisait à mes doigts, et
parce que j’étais fort émerveillé de la nouveauté de cette arrivée, en ces
temps où nous étions tous si lugubrement serrés et prisonniers dans l’enceinte
de Mespech par le trouble des temps et l’arrêt qui nous avait mis hors la loi.
Car de sortir hors de nos murs, il n’en était point question, pas même pour
nous rendre à Sarlat, où les plus acharnés papistes reprenaient le haut du
pavé.
La
herse montée puis baissée, et ayant fait un signe rassurant à Escorgol qui nous
suivait de l’œil avec envie de la fenêtre de derrière – mon frère
François, pour l’heure à venir, son seul auditeur, si tant est qu’il l’écoutât
– je balançai peu si je devais conduire Sarrazine à Sauveterre ou à Jean
de Siorac, et pour celui-ci me décidai presque aussitôt, sachant bien la grise
mine que le grison ferait à la drolesse, alors que je savais bien qu’elle
amuserait mon père, et qu’aussi il nous laisserait présents à l’entretien. En
outre, je m’étais avisé que, malgré sa chemise trouée et ses pieds nus couverts
de la poussière du chemin, elle était fort propre, le cheveu luisant et net,
l’haleine pure, et sans rien qui pût offenser le nez si fin de mon père.
Je
fis donc entrer la garce en la librairie et dis à mon père qui elle était.
— Eh,
adieu, Sarrazine ! J’ai fort ouï de toi, ces quatre années ! dit Jean
de Siorac, se mettant debout, les mains aux hanches et la tête redressée,
tandis qu’il enveloppait la fille de son œil bleu, dont disparut pour un temps
la tristesse. Que viens-tu faire céans ? ajouta-t-il avec son ancien
enjouement.
— Me
plaindre, Moussu lou Baron, dit Sarrazine en faisant une profonde révérence, sa
chemise trouée bâillant jusqu’à la taille, spectacle dont je ne perdis pas
miette, et mon père non plus, je crois.
Elle
ajouta, les yeux baissés :
— Votre
carrier Jonas m’a forcée.
— Holà !
dit mon père, qui fit mine de sourciller. Mais c’est crime capital ! Et
qui vaut la corde ! Et où cela s’est-il passé ? Dans les
chemins ? Par les combes et par les pechs ?
— En
sa grotte, dit Sarrazine, la paupière hypocrite.
— Et
que faisais-tu en sa grotte, ma pauvre ? dit Jean de Siorac.
— J’étais
venue voir sa louve, dont on dit que c’est merveille comme il l’a apprivoisée.
— La
merveille, dit mon père en riant, c’est que tu aies fait pieds nus cinq lieues
par les chemins de la Volperie à la grotte de Jonas, rien que pour voir cette
louve ! Jonas t’avait-il invitée ?
— Non
point, Moussu lou Baron. Je ne l’avais point revu depuis qu’il m’avait déliée
du poteau où le capitaine des Roumes m’avait liée. Cependant, quand il m’a vue
en sa grotte, il s’est montré bien aimable.
— Je
crois, dit mon père.
— Il
m’a donné à boire du lait de sa chèvre, et comme j’étais fatiguée, sa louve
étant couchée, il m’a mis la tête sur son flanc et m’a dit de la caresser. Ce
que je fis. Alors, il s’est étendu à côté de moi, et j’ai dit :
« Mais toi aussi, Jonas, tu as sur la poitrine une toison
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