Fortune De France
Caumont contre Montluc. Après quoi,
haussant le ton pour que tous l’entendissent, il dit :
— Monsieur
de Caumont, je m’étonne que vous me demandiez justice. Tout votre déportement
dans votre province vous accuse et condamne. Certes, vous n’avez pas
ouvertement tiré l’épée contre le Roi. Mais vous avez aidé la rébellion huguenote.
Vous avez abrité les rebelles en vos maisons, et c’est d’elles que sont partis
tant de coups contre les nôtres. M. de Charry vous le dira bien, et M. de
Hautefort, et tant d’autres seigneurs catholiques de votre province. Ainsi
toute la raison que le Roi vous pourrait rendre, ce serait de vous donner la
punition que vous désirez tirer de M. de Montluc, lequel est un bon et fidèle
soldat, qui a très bien servi le Roi et fait couler à son service des ruisseaux
de sang.
— Des
ruisseaux ! dit François de Caumont. Ah, certes, monsieur le Duc, vous
dites bien !
— Oui-da,
je dis bien ! dit Guise en se levant, non sans colère. Montluc a fait
couler plus de ruisseaux de sang au service du Roi que vous n’avez versé de
gouttes avec l’épée que vous voilà et avec celles de vos trois frères. Aussi
Montluc mérite beaucoup, et vous très peu. Souvenez-vous-en, monsieur de
Caumont, et corrigez-vous tant qu’il est temps.
François
de Caumont se retira, très marri d’être ainsi en public accommodé. S’il eût été
prudent, il aurait fui la Cour à la minute même, à brides avalées, pour
regagner son Périgord. Mais ses Milandes lui tenaient fort à cœur, et à nouveau
il s’obstina. Et sur le bruit que le duc avait regretté, le soir même, d’avoir
été un peu vif à son endroit, et le duc quittant Blois le lendemain pour se
rendre à Orléans, qu’il comptait prendre aux huguenots, Caumont s’offrit pour
lui faire un bout de conduite, et le duc, en effet, échangea au botte à botte
avec lui quelques paroles courtoises. Sur quoi, Caumont prit congé du duc et
s’en retourna à Blois.
Mais,
un quart de lieue après avoir quitté Guise, il rencontra, entouré d’une troupe
de Capitaines, Edme de Hautefort qui, s’arrêtant, lui reprocha, le regard
furieux, d’avoir laissé, de ses maisons, tirer sur les siens au cours des
troubles. Caumont n’eut pas le temps de se justifier. Hautefort mit l’épée à la
main et, se jetant sur François, lui en bailla un grand coup sur la tête.
Le
meurtre eut lieu le 3 ou 4 février 1563, je ne saurais préciser le jour
davantage. Et telle était la passion du temps contre les nôtres qu’il resta
impuni et presque inaperçu. Ce n’était là, d’ailleurs, pour reprendre les mots
de Guise, qu’une goutte de sang à côté des ruisseaux qui allaient de nouveau
couler, le duc, le 5 février, ayant encerclé Orléans.
Déjà
il avait pris le faubourg du Portereau et les Tourelles. Depuis le commencement
du siège, il s’en revenait tous les soirs à Saint-Mesmin où, pour regagner son
logis, un petit bateau le passait de l’autre côté du fleuve ainsi que son Écuyer
et les deux chevaux. L’eau passée, ils remontaient tous deux à cheval et
longeaient un petit bois. Le 13, la veille du jour que Guise avait fixé pour
l’assaut contre Orléans, un huguenot fanatique, Poltrot de Méré, caché derrière
un taillis, tira trois coups de pistolet dans ce large dos que la Reine, quinze
jours plus tôt, avait regardé avec tant de soulagement quand, sa harangue
finie, Guise l’avait quittée. Les balles pénétrèrent dans l’épaule droite, au
défaut de la cuirasse. Guise, sans tomber de cheval, s’affala sur l’arçon et
dit :
— On
me devait celle-là, mais je crois que ce ne sera rien.
Il
mourut six jours plus tard. Quant à Poltrot de Méré, son coup fait, il galopa
toute la nuit, mais n’arrivant pas à démêler les chemins, le jour venu, il se
retrouva sur le lieu de son crime, et il fut pris. Sous la question, il avoua
que Soubise et d’Aubeterre l’avaient suscité. Il cita aussi l’amiral de
Coligny, mais se rétracta, et varia fort à ce sujet, même à l’heure de la mort,
quand on le tira à quatre chevaux.
C’est
en vain que Coligny, qui niait hautement avoir inspiré le meurtre, demanda à la
Reine de le confronter avec Poltrot de Méré avant qu’il fût dépêché. La Reine
ne le voulut pas, et peut-être avait-elle ses raisons. Neuf ans plus tard, quand
elle donna l’ordre d’assassiner Coligny, elle s’arrangea pour qu’on attribuât
ce meurtre à la
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