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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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attendait
mon père devant la porte de la Lendrevie. Il nous demanda de rengainer, ce que
nous fîmes, et s’avançant avec mon père au botte à botte, souriant et
conversant, mais l’œil sur les fenêtres, il parcourut au pas toute la longueur
de Sarlat jusqu’à la porte de la Rigaudie. Là, très regardée par les passants
des rues et les badauds se pressant aux fenêtres, la petite troupe, retournant
sur ses pas, prit à gauche et, passant devant la maison épiscopale et l’église
cathédrale (devant laquelle M. de la Porte se signa et mon père, par
courtoisie, se découvrit), elle gagna la maison de ville, où mon père fut reçu
sur les marches par M. de Salis, lieutenant général du Périgord au siège de
Sarlat, et par les deux Consuls. Et tout ceci sans tumulte ni cris, ni
hostilité d’aucune sorte de la part du populaire, sinon deux ou trois méchants
regards lancés des fenêtres par des acharnés qui nous haïssaient par zèle pieux
et non par personnel ressentiment.
    Bref,
rien ne se passa et j’en fus bien marri, car j’avais douze ans, c’était la
première fois que je portais l’épée du gentilhomme, et bien qu’elle fût encore
assez courte, j’en avais la tête enflée et, dressé sur mon genet d’Espagne, je
me sentais invincible. Démonté, et les chevaux confiés à nos soldats,
j’accompagnai partout mon père, me tenant à sa droite et Samson à sa gauche,
l’œil sourcilleux, une main négligente sur la poignée de mon arme, et regardant
de tous côtés d’un air assez fendant. En fin de matinée, mon père fit sa petite
visite accoutumée à Franchou, lui remit son petit présent, lui parla un temps à
l’oreille, et je crus bien qu’il n’en finirait jamais de la baiser sur les joues
et de lui tapoter ses bras ronds, quand enfin il prit congé.
    Bien
qu’elle fût maintenant huguenote et mariée, ni le Breuil ni Mespech n’avaient
encore tout à fait digéré Sarrazine, et il fallut tordre et retordre pour
qu’elle fût acceptée, surtout par les femmes, tant ses yeux, ses cheveux et la
couleur de sa peau faisaient scandale.
    Le
premier à prendre là-dessus position haute et claire fut Cabusse, pour ce que
Cathau se refusait à ses devoirs de voisine, arguant que la Sarrazine n’était
point femme à la manière des autres.
    — Et
de quelle manière l’est-elle donc ? dit Cabusse en faisant la grosse voix
et en tirant d’un air terrible sur sa moustache. N’a-t-elle pas, comme toi,
deux tétons, une fente pour recevoir le mâle, et un ventre pour porter le pitchoune ?
Sans doute, ajouta-t-il avec son tact gascon, n’a-t-elle pas ton joli minois,
Cathau, et tes manières de bonne maison, mais si mon compère Jonas l’aime comme
elle est, la différence, après tout, n’est que question de pelage, comme on
voit entre les chiens, d’aucuns noirs, d’autres fauves ou tachetés, et d’autres
encore blancs comme neige. Ce n’est pas au poil qu’on connaît la bête, Cathau,
mais à l’usage.
    À
la veillée, entre la Maligou et Barberine, ce fut une autre chanson. Depuis
qu’Isabelle était morte, mon père s’attardait volontiers parmi nos gens le
soir, plutôt que non pas aller rejoindre aussitôt Sauveterre en sa librairie,
où pourtant brûlait un feu plus vif. Mais ce n’était pas tant de cette
chaleur-là dont mon père avait besoin, que du naturel et de la gaieté de nos
soldats, et de la présence des femmes, de Barberine surtout, et de ses deux
marmots, l’un accroché à sa jupe, et l’autre à terre dans le berceau de
châtaignier, que d’un pied, de temps à autre, elle mettait en branle, attendant
de leur donner, à l’un et à l’autre, la tétée, ce qui nous ravissait tous, et
mon père plus qu’un autre, ayant la tête si près du cœur, et le cœur si près
des sens. En outre, ces deux-là, Annet et Jacquou, auraient dû être les frères
de lait des deux fils mort-nés qu’Isabelle avait mis au monde, le second lui
coûtant la vie. Et, je l’ai dit, l’intention de mon père était qu’ils fussent
élevés au château, non, certes, comme mon demi-frère Samson, mais un peu comme
nos cousins Siorac, dans une position qui tiendrait du domestique et du parent.
Ce n’était pas tout à fait un lien de sang, mais, disait mon père, un lien de
lait qui les rattachait à nous. Annet, en outre, avait été le filleul
d’Isabelle de Siorac.
    Ces
marmots n’étaient point, comme on en voyait tant dans nos villages,

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