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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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la fécondité. Sauveterre se rabattit même, en son extrémité, sur la
poésie (écrite, il est vrai, par la sœur d’un roi), et cita, avec l’intention
la plus claire, les beaux vers ascétiques de Marguerite d’Angoulême :
     
    Que trop aimé j’ai mon malheureux corps
    Pour qui j’ai tant chaque jour travaillé
    Que j’en ai fait mon Dieu et mon Idole,
    Trop plus aimant ma chair fragile et molle
    Que mon salut.
     
    À
quoi mon père répliqua à côté de la question, mais d’une plume
péremptoire : « Ma chair n’est pas molle, et je ne suis pas
fragile. »
    En
désespoir de cause, Sauveterre joua enfin son va-tout : « Ton âge,
Jean ! Et le sien ! » Mais mon père, fort peu troublé, répondit
par le proverbe périgordin : « Peu importe que le bouc soit vieux, si
la chèvre est prête. »
    Franchou
était fille de Jacques Pauvret  – le bien-nommé  –, tenancier infirme
sur nos terres, laboureur vivant dans le plat pays en misérable masure.
Franchou y avait connu le grain parcimonieux, le pain petit dans la huche, la
flamme chiche dans l’âtre, des loques pour toute vêture, plus de soufflets que
de baisers, la terreur des loups et des gueux armés, et à la moindre
sécheresse, une famine à manger des glands. Voilà ce qu’eût signifié, pour
Franchou, « rester sage en sa famille », comme le recommandait
Pincettes aux filles de nos villages. Comment la blâmer si elle n’y songeait
guère, tandis qu’elle cousait rêveusement à notre table, le majeur coiffé du dé
d’argent de mon père ? La garce du Baron de Mespech ? Où était le
mal ? Quelle était l’infamie ? Des petits bâtards qui mangeraient,
eux, à leur faim et qui, comme Samson, recevraient le nom glorieux de
Siorac ? Et elle-même, jusqu’à la fin de sa vie, assurée du pot, du feu et
du logis, derrière des murailles qui la protégeraient des bandes armées, de la
disette et même de la maladie, car, par les temps de grande contagion, Mespech
se refermait sur ses immenses réserves, et la peste elle-même venait battre le
pied de nos puissantes courtines sans pouvoir y pénétrer.
     
     
    Tandis
qu’en son petit royaume mon père, travaillé par sa conscience huguenote,
hésitait encore à cueillir ce gros péché tant frais et velouté, Catherine de
Médicis, en son Louvre, louchait vers un autre fruit.
    Le
Havre était en mains anglaises. Au cours de la guerre civile, nos chefs, Condé
et Coligny, avaient livré la belle et bonne ville à Elizabeth d’Angleterre,
moyennant subsides par le traité d’Hampton Court, avec promesse de l’échanger
contre Calais, la paix revenue. Mais Condé, réconcilié avec Catherine après
l’édit d’Amboise, rougissait maintenant d’avoir signé ce méchant traité, qui
eût amputé la France de ce Calais si chèrement reconquis. « Le petit
prince tant joli qui toujours chante et toujours rit » se parjurait
joyeusement, tandis qu’Elizabeth tonnait contre ces perfides Français qui ne
voulaient pas foi garder, qu’ils fussent huguenots ou papistes. Sur ce feu
versant beaucoup d’huile, Catherine envoya à la Reine d’Angleterre le sieur
d’Alluye, qui fit maintes braveries et fut insolent à souhait, refusant Calais et
en outre réclamant Le Havre. « Je garderai Le Havre, dit Elizabeth
hautement, pour m’indemniser dudit Calais qui est mon droit. »
    Il
n’en fallut pas plus à Catherine de Médicis pour rallier sous sa bannière les
catholiques et les protestants. On vit alors ce spectacle inouï : Condé se
joindre avec ses hommes à l’armée du connétable. On s’était coupé la gorge
entre Français au nom de la religion, on luttait aujourd’hui côte à côte, le
bras armé et le cul sur selle, pour arracher une ville française à l’Anglais.
La pauvre Elizabeth ne pouvait croire qu’on lui ôtât « son droit ».
Mais elle le tenait mal, n’ayant pas eu le temps de le fortifier. Le 30 juillet
1563, Condé et le connétable emportèrent Le Havre.
    Hélas,
si la réconciliation des chefs de guerre et des soudards était prompte et
facile, il s’en fallait que la paix revînt si vite dans le reste du royaume
après l’édit d’Amboise. Les prêtres zélés et les seigneurs fanatiques armaient
des compagnies de massacreurs qui tendaient des embuscades aux gentilshommes
réformés qui revenaient chez eux, la guerre finie. Nos huguenots, là où ils
étaient forts, ne respectaient pas l’édit davantage.

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