Fortune De France
devoir dû à un père.
— Je
le ferai, monsieur mon oncle, dis-je avec un soulagement immense, et dans les
termes mêmes que vous avez choisis, et qui peignent si bien la vérité.
Ce
disant, je m’inclinai, et bien que son visage bougeât à peine, Sauveterre eut
l’air satisfait, et de mes paroles, et de mon salut.
— Dois-je
aussi, dit alors Samson, l’œil effrayé et la voix piteuse, composer vingt vers
latins ?
Sauveterre
sourit.
— Pour
vous, Samson, le Baron de Mespech se contentera d’un mot d’excuse.
Il
leva un doigt.
— Pourvu
qu’il soit écrit en français, en bon français.
— Je
l’écrirai, dit Samson avec un soupir.
— Vous
avez tout votre temps, messieurs mes neveux, dit Sauveterre et nous enveloppant
de son œil pénétrant, où brillait une petite lueur, tout à la fois d’ironie et
d’affection. Il reprit :
— Pour
aider à votre composition, vous serez serrés tous deux céans jusqu’à
après-demain midi, et pour ne pas alourdir votre réflexion, on ne vous servira
que du pain et de l’eau.
Là-dessus,
il nous fit un petit salut, auquel nous répondîmes l’un et l’autre par un salut
profond. Et claudiquant, mais carrant ses puissantes épaules, le dos droit, et
l’air assez heureux, il sortit et verrouilla derrière lui notre porte.
Ainsi
fut notre quarantaine prolongée de quarante-huit heures, et quand enfin nous
émergeâmes de la tour nord-est, nos excuses latines et françaises agréées, et
notre père nous donnant, avec son pardon, le baiser de paix, ce fut pour
constater un notable changement dans le ménage de Mespech : Catherine
était installée depuis deux jours dans la chambre de ma mère, et Franchou, sa
chambrière, couchait à côté, dans un petit cabinet, lequel cabinet était
attenant aussi à la chambre de mon père. Si, comme mon père l’avait dit à
Sauveterre – et je l’avais ouï de mes propres oreilles –, il n’y
avait rien « entre cette pauvre garce et lui », c’était pourtant
placer la tentation bien près de soi. D’autant que Franchou était déjà toute
fondue de gratitude infinie pour qui l’avait tiré si bravement des griffes de
la mort. Dès que le Baron de Mespech entrait dans la salle commune elle n’avait
d’yeux que pour lui, attirée par sa présence comme la limaille par l’aimant, et
courant se poster derrière lui, elle se précipitait pour lui servir à boire,
son gobelet d’étain à peine vide, au grand déplaisir de Barberine, à laquelle
cet office était jusque-là dévolu.
À
Sarlat, je gage, chez M me de la Valade, avant que la peste
n’éclatât, Franchou devait attendre, le cœur battant, les petites visites de
mon père, à en juger par son accueil frémissant. « — Ha ! Moussu
lou Baron ! Moussu lou Baron ! Que j’ai d’aise à vous voir !
— Adieu ma mie ! Come va ? — Dois-je prévenir Madame ?
— Rien ne presse, Franchou ! J’ai pour toi un petit présent, un dé en
argent pour ne pas te piquer le doigt en cousant. — Doux Jésus ! Un
dé ! Et en argent ! Que Moussu lou Baron est bon ! » Il
était bon, certes, et familier aussi, puisque, pour la remercier de ses
remerciements, il lui baisait à gueule bec ses joues fraîches en tapotant ses
beaux bras ronds, tandis qu’elle rosissait, déjà toute chaude et escambillée.
Je
ne donnais point tort à l’oncle Sauveterre. Il eût mieux valu placer Franchou à
la Volperie qu’en cette commode proximité, séparée de l’ennemi par une petite
porte qui n’avait même pas de verrou. Car c’était là, visiblement, une
forteresse à laquelle il ne serait pas nécessaire, comme à Calais, de donner
grand assaut, et qui tomberait d’elle-même à la première entreprise, la
population courant de son propre mouvement au-devant des soldats pour se faire
mettre à sac.
En
attendant cette issue, les clabauderies volaient dru de la cuisine à la
souillarde, et nos poules et poulettes, dans leur jalousie, caquetaient
continûment, mais sans trop oser becqueter Franchou, si naïve, si bravette, et
si bien protégée. Sauveterre, rembruni, ne desserrait pas les dents à table,
n’ayant d’œil que pour son assiette, et sur le Livre de raison, comme au
temps de Jéhanne et des nombreux prêts qu’on lui consentait, les « Je prie
pour toi, Jean » réapparurent, bientôt suivis, de Jean à Jean, par un
assaut de citations bibliques, les unes dénonçant la luxure et les autres
prisant
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