Fortune De France
Des
« Capitaines » protestants, Clermont de Piles et La Rivière,
s’emparèrent de Mussidan, et peu après, pratiquant, la nuit, une brèche dans
les murailles de Bergerac, jetèrent dans les rues quelques hommes qui y firent
retentir tambours et trompettes. La garnison, croyant la ville gagnée, se
réfugia dans la citadelle : celle-ci fut investie, affamée et prise.
Même
à Paris, la paix n’était pas vraiment revenue. D’Andelot, de nouveau colonel
d’infanterie depuis l’édit d’Amboise, voyait son autorité contestée par un de
ses maîtres de camp, le catholique Charry, favori de Catherine de Médicis. On
disait, en outre, que Charry préparait, pour venger le duc de Guise, un
massacre général des protestants, et cet on-dit gagnant quelque créance parmi
les nôtres, un officier de Coligny, Chastelier-Portaut, assaillit Charry comme
il passait sur le pont Saint-Michel, et, tout soudain, lui donna de son épée
dans le corps, « l’y tortillant par deux fois pour faire la plaie plus
grande ». Mais de cette plaie-là – dont mourut en effet
Charry — Catherine de Médicis ne perdit pas le souvenir, comme on verra.
Ainsi,
pendant plus de quatre ans après l’édit d’Amboise, régna dans le royaume un
état dangereux et violent qui n’était plus tout à fait la guerre sans être tout
à fait la paix. Pour nous qui jouissions, dans le Sarladais, du bon renom que
notre fidélité à la Couronne nous avait valu, nous n’avions rien à craindre des
officiers du Roi. Mais la peste s’étendant sur Sarlat et le plat pays, le
pouvoir royal s’était tant affaibli dans la sénéchaussée qu’il ne pouvait guère
protéger ses sujets loyaux contre les entreprises des méchants.
Fin
août, une affligeante nouvelle nous parvint. Étienne de La Boétie, qui, en
juillet, avait fait voyage dans le Périgord et l’Agenais – mais sans y
pouvoir séjourner, étant partout repoussé par la peste –, s’en était
retourné à Bordeaux avec toutes les apparences de la bonne santé. Et en effet,
le 8 août, il jouait encore à la paume avec M. des Cars, lieutenant pour le Roi
en Guyenne. Mais s’échauffant beaucoup, et suant d’abondance, il se plaignit, à
son coucher, de s’être refroidi. Le lendemain, il reçut un billet de Michel de
Montaigne le conviant à dîner. À quoi il répondit qu’il ne pouvait sortir,
étant travaillé de la fièvre. Montaigne, aussitôt, vint le voir, et lui trouva
le visage fort changé. Et comme le logis de La Boétie se trouvait à Bordeaux,
entouré de maisons infectes, Montaigne lui conseilla de quitter la ville sur
l’heure et de s’arrêter pour une première étape à Germinian, village entre Le
Taillan et Saint-Aubin, à deux lieues seulement de la ville. La Boétie lui
obéit, mais, parvenu à Germinian, il se trouva si mal qu’il ne put en repartir.
Et c’est dans ce gîte de fortune, entouré de ses parents et de ses amis
accourus, qu’il tira neuf jours à la mort.
La
Boétie n’était pas, semble-t-il, atteint de la peste, n’en présentant pas tous
les signes, mais il souffrait d’un flux de ventre perpétuel symptomé d’une
extrême douleur de tête. Qui plus est, il n’arrivait plus à se nourrir, et
dépérissait à vue d’œil, ses yeux se creusant et son teint devenant blême.
Craignant que son mal fût contagieux, il engagea Montaigne à ne demeurer en sa
présence que « par bouffées », mais Montaigne n’y consentit pas. Il
ne devait plus quitter le chevet de son « immutable ami ».
La
Boétie était très conscient, à chaque minute, de l’approche de la mort et,
ayant conservé tous ses esprits, il entreprit de régler ses affaires avec un
admirable sang-froid. Ayant vécu catholique, il délibéra de clore sa vie en
cette religion, se confessa et communia. Puis il dicta son testament.
Montaigne
a raconté le stoïcisme dont il fit preuve alors. D’aucuns trouvent cette longue
agonie quelque peu philosophe et bavarde, même sous la plume de Michel de
Montaigne. Mais c’est là, à mon sens, critique vétilleuse et sans cœur. La
Boétie, de son vivant, était fort éloquent. Il est à porter au crédit d’une
certaine grandeur romaine de son caractère qu’il ait pu l’être, presque dans
les dents de la mort, et au milieu des indicibles souffrances dont il était
travaillé. Il est d’ailleurs un passage de ce funèbre discours qui, lorsque je
l’ai lu, à l’âge d’homme, m’a tiré des
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