Fortune De France
plafond. Pensant que ce devait être
notre matou qui y poursuivait dame souris, je m’avançai à pas de velours
jusqu’à la porte pour être le témoin de cette chasse. Mais que vis-je en place
de chat, de rat ou de souris ? Un drole d’une quinzaine d’années,
loqueteux et dégouttant d’eau, assis sur notre escabeau, un de nos jambons
entre ses genoux, et de son couteau long et effilé s’en découpant une tranche,
tandis qu’une autre tranche, qu’il mâchait hardiment, dépassait des deux côtés
de sa large bouche. Je restai béant et stupide sur le seuil, n’en croyant pas
mes yeux, et me demandant comment avait fait le quidam pour traverser nos murs,
quand le drole, levant la tête et m’apercevant, bondit sur pieds comme balle de
paume et, lâchant le jambon, se rua sur moi, son couteau effilé à la main.
Cabusse
m’avait appris à parer ce genre de traîtreuse attaque. Je donnai de ma botte
dans l’estomac du drole, et comme il se pliait en deux, je lui en donnai un
autre coup au visage. Le couteau échappant de ses mains, mais non point le
jambon de ses dents, il tomba comme un sac, et cherchant autour de moi de quoi
le lier, je vis, à côté de l’escabeau où il était assis, une corde et un
grappin. Je lui en attachai les mains derrière le dos et, le traînant inanimé
jusqu’à la salle commune, je l’adossai à un des pieds de la lourde table de
chêne et l’y liai.
Ayant
fait, je m’assis, reprenant souffle, stupide d’étonnement. Car, même avec corde
et grappin, comment, ayant trompé l’ouïe d’Escorgol, sauter la muraille
d’enceinte, franchir sans dommage les pièges à ses pieds, voler par-dessus trois
ponts-levis, et malgré la porte du logis verrouillée et aspée de trois bandes
de fer, se retrouver commodément dans notre charnier, notre chair de porc entre
les mâchoires ?
Entra
alors la Maligou qui, à la vue du larron, béa.
— Qu’est
cela ? Qu’est cela ? dit-elle en bégayant.
— Je
ne sais. Je l’ai trouvé dans le charnier.
La
Maligou, branlant de tout son corps graisseux, jeta les bras au ciel et,
caquetant comme poule stridente que le renard poursuit, s’écria :
— Seigneur
Dieu ! Doux Jésus ! Bonne Mère ! Et vous, saint Joseph !
Protégez-moi ! C’est le diable en notre logis ! Ou du moins un des
septante-sept démons de l’enfer !
Et
tout aussitôt se signant, elle courut chercher notre salière en bois, et avec
maintes simagrées et marmonnements, en jeta des pincées autour du larron.
— Sotte
caillette ! dis-je, lui arrachant la boîte des mains. Jeter ainsi le
sel ! Et invoquer Marie ! Dois-je le dire à mon père ?
— Mais
c’est le diable ! hurla-t-elle en se signant à tour de bras, et tant
agitée et branlante que son bonnet lui tomba sur la nuque.
À
cet instant, le larron ouvrit les yeux, encore quelque peu troubles, et avant
que de reprendre tout à plein ses sens, il se remit à mâcher la tranche de
jambon qui, même en sa syncope, lui était restée au travers de la bouche.
— C’est
le diable ! hurla la Maligou en se reculant comme si l’enfer s’ouvrait
devant elle, et tombant à genoux, les mains jointes et les yeux révulsés
tournés vers le ciel, elle s’écria d’une voix aiguë :
— Ah,
Bonne Mère ! De femme à femme, protégez-moi de ce démon !
— Assez,
coquefredouille ! dis-je d’une voix forte. Ce n’est point le diable !
Il mange !
— Mais
le diable mange, Moussu Pierre ! s’écria la Maligou et, oubliant presque
ses terreurs dans le scandale où la jetait mon ignorance, elle se remit sur ses
grosses pattes.
— Le
Malin, poursuivit-elle, a mêmes besoins que l’homme, multipliés par sept. Il
s’empiffre comme curé en sa cure, boit comme forgeron, pisse comme vache, rote
comme roi, et fornique comme rat en paille.
— Il
fornique ? dis-je en levant le sourcil.
— Oui-da !
dit la Maligou. Il a le vit sept fois gros comme celui d’un homme, et les nuits
de sabbat, de minuit à la pique du jour, il besogne sept fois sept sorcières
sans désemparer.
— Voilà
qui t’arrangerait bien, paillarde ! dis-je en me gaussant. À toute flèche
tu ouvres ton carquois !
— Me
garde la Bonne Mère de ce vilain pensement ! dit la Maligou en baissant
une sournoise paupière. Et que si ce vilain pensement me passe pourtant par le
derrière de la tête, qu’au moins ce ne soit point ma faute, mais malgré moi.
— Va,
grosse ribaude,
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