Fortune De France
éviter.
Les
arquebusades, les froissements de fer, les hurlements de rage ou de douleur,
éclatèrent alors à tous les coins du faubourg. Pour François, Miroul, Samson et
moi, qui gardions une ruelle si étroite que trois hommes n’y eussent pas passé
de front, la situation devint tout d’un coup fort menaçante quand sept hommes
armés de piques déboulèrent sur nous au galop.
— Cachons-nous
dans les encoignures des portes, souffla François, et laissons-les passer.
De
Samson ou de Miroul, cet avis m’eût paru raisonnable, mais de mon aîné, je ne
pus l’accepter.
— Non
point ! Dis-je. Ce serait par trop couard !
Et
me plaçant au milieu de la rue, je pris les deux pistolets que j’avais à la
ceinture, coup sur coup fis feu et abattis deux hommes. Miroul, qui n’avait
qu’un pistolet, tira lui aussi, et navra son homme. Mais François, étonné de
mon acte, resta cloué sur place, et Samson ne bougea pas davantage, non certes
pas lâcheté, mais du fait de son habituelle lenteur. Quant aux quatre gueux
valides, ils poussèrent des cris féroces à voir leurs camarades tomber, et nous
paraissant immenses dans l’étroite ruelle et brandissant leurs piques, ils
fondirent sur nous. Je vis François tirer son épée, je tirai la mienne, mais
comme Samson, toujours immobile, ne songeait pas à la sienne, je bondis à ses
côtés et lui criai à l’oreille :
— Ton
épée, Samson, ton épée !
Il
la tira enfin, mais dans l’inattention que sa lenteur m’avait donnée, je ne vis
pas le terrible coup de pique que me lançait un assaillant. La pointe fut
arrêtée par mon corselet, mais le choc fut si rude que je roulai à terre, sans
toutefois lâcher mon arme. L’homme, qui me parut alors gigantesque, se mit tout
soudain au-dessus de moi et, brandissant à nouveau sa pique, il hurla :
— Je
vais t’occire, mon joli drole!
Je
roulai sur moi-même, tandis que la pique se plantait dans la terre, car cette
ruelle-là n’était point pavée, mais fangeuse. Ce fut là mon salut, car du temps
que l’homme mit à la déplanter, je me remis sur pied et lui portai une botte si
vigoureuse que, traversant son corps, la pointe de mon épée pénétra dans le
torchis pisseux du mur. Il me sembla alors que la poignée de mon arme
s’arrachait à ma main, et je restai, sans plus bouger, à considérer le gueux
qui, le poumon traversé, et comme cloué à la maison, me regardait fixement,
respirant avec un bruit rauque, et le sang lui coulant aux coins des lèvres.
Je
ramassai sa pique, mais personne ne requérait plus mon secours. Je ne le vis
pas alors, mais je le sus plus tard : François, à force de rompre devant
son ennemi, avait pensé au pistolet qu’il portait à sa ceinture, et l’en retirant
de la main gauche, l’avait armé et fait feu. Miroul, qui avait l’avantage
d’être armé d’une pique, s’en était servi avec une telle dextérité qu’il avait
navré son assaillant, lequel gisait à terre, geignant piteusement. Seul Samson
combattait toujours, saignant d’un bras. Il avait pourtant l’avantage, mais sa
bonté l’empêchait de conclure. Ce que voyant son adversaire, et observant qu’il
restait seul contre nous quatre, il rompit, tourna casaque et, à toutes jambes,
il enfila la ruelle.
— Tire,
Samson, tire ! hurlai-je alors.
Mais
Samson, me regardant de son œil bleu étonné, me dit sans même faire un geste
pour saisir son pistolet :
— Pourquoi,
puisqu’il s’enfuit ?
Je
ne répondis point. La pensée venait de me traverser la tête que je devais
arracher mon épée du corps de mon assaillant, et cette pensée me donnait une
profonde horreur. Quelque peu chancelant, mon corselet cabossé et tout sali par
la fange de la ruelle où je m’étais roulé, je revins vers l’homme cloué à son
mur. Il avait l’œil clos, mais se tenait debout, le visage grimaçant, les deux
filets de sang coulant continûment aux coins de sa bouche, mais sans émettre la
moindre plainte. Cependant, dès qu’il me vit, ou plutôt dès qu’il sentit que je
saisissais la poignée de mon arme, il ouvrit les yeux, les fixa sur moi, et
dit, la voix rauque et la respiration haletante :
— Plaise
à vous, Moussu, d’essuyer la pointe de votre épée avant que de me l’arracher.
Je n’aimerais point que la saleté du mur me rentre dedans le corps.
Bien
que l’homme eût voulu m’occire, cette supplique me remplit, je ne sais
pourquoi, de chagrin. Appelant
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