Fortune De France
force à la porte de la Lendrevie.
Assez
troublé de ce que je venais d’entendre, je jetai un coup d’œil à mon père, mais
il ne sourcilla pas.
— D’où
vient, reprit M. de la Porte, qu’il n’y a point de cette méchante troupe un
seul survivant ?
Mon
père continua de se taire et Puymartin dit, le front plissé :
— En
raison des pertes subies, nos soldats étaient fort aigris de colère contre ces
gueux.
— J’entends
bien, dit M. de la Porte, mais l’air encore peu satisfait.
Cependant,
il nous fit, lui aussi, de grands compliments, mais point si grands que le
sénéchal qui, étant le plus haut en la ville, parla le dernier, et avec le plus
d’éloquence, nous assurant qu’il en écrirait au gouverneur du Périgord, et
celui-ci, au Roi. Après quoi, il embrassa et mon père, et Puymartin, et
François, et Samson, mais en ses embrassades m’oublia, sans doute parce que
j’étais si fangeux et sanglant. C’était un gentilhomme de bonne taille,
entièrement vêtu de satin bleu pâle, la fraise large et d’une éclatante
blancheur, la barbe taillée à ravir, le cheveu propret et frisé, et si
pulvérisé de parfum en sa vêture que dès qu’il faisait un geste – et il
en faisait beaucoup – il embaumait à la ronde.
Les
deux Consuls s’étaient exprimés en périgordin, orné, çà et là, de quelques mots
français ; M. de la Porte, comme il convenait à un officier du Roi, en
français quelque peu mâtiné d’expressions de notre province. Mais le sénéchal,
comme Monsieur de L., parlait le pur français de Paris, la voix haut perchée,
l’articulation brève et pointue, et la bouche à peine plus ouverte que la fente
d’un tronc d’église.
Comme
Puymartin et mon père sortaient de la maison de ville, le populaire, qui les
attendait, se pressa autour d’eux en les acclamant. Mon père, tout souriant,
monta prestement en selle, imité de ses droles, de Puymartin et de Coulondre
Bras-de-fer qui, de son bras unique, avait, pendant notre réception, attaché
nos chevaux aux anneaux de fer du pavé, sans répondre un traître mot aux
manants qui lui réclamaient des récits sur le combat. La liesse et le
soulagement étaient grands à Sarlat à ne plus sentir la tyrannie du Baron-boucher
peser aux portes de la ville, d’autant que de jeunes drolasses, dans le bourg
même, parlaient d’aller le rejoindre, et chaque jour, faisaient aux bourgeois
farces et insolences comme pages et laquais en foire de Saint-Germain.
Ayant
fendu la presse, notre troupe gagna la porte de la Lendrevie, mais avant que de
l’atteindre, mon père avisa en passant un homme qui pleurait à larmes amères
sur un petit chariot tiré par un âne rouge. Disant à Puymartin de continuer
sans lui, mon père revint sur ses pas, suivi de Coulondre et de ses droles.
L’âne rouge s’arrêta dès qu’il vit son chemin barré par nos chevaux, et mon
père dit :
— Adieu,
l’ami ! Come va ? Mal, si j’en juge à tes pleurs. Comment te
nomme-t-on ?
— Petremol.
— J’ai
connu à Marcuays un Petremol qui a tâché de guérir ses rhumatismes en se
trempant l’hiver dans la fontaine glacée de saint Avit.
— C’est
mon cousin.
— Et
j’ai connu à Sireil un autre Petremol que j’ai failli pendre pour avoir dérobé,
l’an dernier, un plein sac d’herbes dans mes combes.
— C’est
mon cousin.
— Eh
bien, Petremol, je te connais, puisque je connais tes cousins. Où vas-tu donc,
avec ton chariot rempli de peaux, conduit par ton âne rouge ? Ne sais-tu
pas qu’on dit en Normandie : traître comme un âne rouge ?
— Le
traître, dit Petremol, les larmes coulant sur ses joues, c’est le sort qui
m’écrase, et non cette bravette bête, qui ne me veut que du bien. Eussiez-vous
pendu, l’an dernier, mon cousin de Sireil, que je l’envierais, Moussu lou Baron.
Car je vous connais, vous aussi.
— Tu
as donc grande désespérance au cœur, Petremol, et pourtant tu n’es pas pauvre,
à ce que je vois : tu possèdes un âne, un chariot, de nombreuses peaux, et
de ton métier, tu es tanneur, ou bourrelier, à ce que je suppose.
— Je
suis l’un et l’autre, dit Petremol, et depuis un an, je travaille de mon art
pour votre cousin Geoffroy de Caumont dans son château des Milandes. Hélas, la
contagion finie, je m’en suis revenu à mon logis de Montignac, pour trouver
femme et enfants emportés par la maladie, et ma maison brûlée par la
désinfection que les
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