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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Marsal, il n’y a point si longtemps, il a
refusé tout à plat, comme moi, d’être le meunier des Beunes, en raison du grand
danger d’être occis par les gueux des chemins. Et le voilà tout raide et froid,
et Coulondre Bras-de-fer, travaillant en son moulin, faisant chabrol, et chaque
nuit, mettant sa Jacotte au montoir. Non que je l’envie là : aux femmes
j’ai fort peu fiance, comme tu sais, Maligou.
    — Hélas,
point d’eau bénite non plus, dit la Maligou, que les messieurs tiennent pour
idolâtre, et qui est bien utile pourtant, pour écarter du défunt les
septante-sept démons de l’enfer.
    — Si
je n’avais point eu ma patte folle, dit Faujanet, au lieu de garder le château
avec monsieur l’Écuyer et Alazaïs, les messieurs m’auraient choisi pour
l’expédition de Sarlat, et c’est moi peut-être qui serais là, et non ici à
faire ton cercueil, mon pauvre Marsal. Preuve, ajouta-t-il, mais à voix basse,
qu’il vaut mieux loucher d’une jambe que d’être bigle.
    Pendant
ce temps, dans la pièce de la tour sud-ouest, Barberine me décrassait de ma
fange et de mon sang dans une cuve d’eau fumante, bien que je lui eusse assuré
que j’étais homme à me laver tout seul. « Nenni, mon bec jaune, dit-elle.
Et qui te lavera le dos ? » J’étais trop triste pour résister plus
avant, et me laissai aller aux caresses et frictions de ses grandes mains, qui
me passaient sur le corps le bon savon de Mespech. « Doux Jésus »,
disait Barberine, « voilà ces droles qui poussent à côté de moi sans même
que je me trouve de m’en apercevoir. Ce Pierre, que j’avais dix-huit ans
lorsque je l’ai nourri, le voilà déjà, à treize ans, presque un homme, les
épaules larges, le poitrail éclaté, la fesse dure, le poil lui poussant de
partout et piaffant comme un étalon. »
    — Hélas,
dis-je, je n’ai guère envie de piaffer.
    — On
dit pourtant, dit Barberine, que tu t’es bien déporté au combat, ayant occis
trois de ces méchants, deux par balle, et le troisième d’un coup d’épée.
    — Oui,
mais celui-là, dis-je en baissant la tête, j’ai dû lui arracher mon épée du
corps, et il a vomi son sang sur moi.
    À
cela, Barberine soupira, mais ne répondit point et m’ayant répandu sur la tête
et les épaules un poilon d’eau chaude pour me rincer, elle me dit de sortir de
la cuve et, m’ayant fait coucher sur son grand lit, elle commença de me frotter
avec les chatteries et les gentillesses dont elle accompagnait ce rite en mes
enfances, me humant, me mignotant, me baisotant, et de sa voix basse et
chantante, déversant sur moi une litanie infinie de petits mots tendres :
« Mon mignon, mon petit coq tant joli, ma perle du Bon Dieu, mon petit
cœur tout neuf. »
    Tout
neuf qu’il fût, ce cœur, il était gros aussi, d’un pensement lugubre, et dans
le flot de douceur où il baignait, il ne put se serrer en lui-même davantage.
Je me jetai contre Barberine, et cachant ma tête entre ses beaux tétons,
j’éclatai en sanglots. « Là, là, mon mignon ! » dit Barberine,
accotée contre la tenture du mur, et me berçant de ses bras généreux.
    Mais
plus elle me berçait, et de ses bras et de ses cajoleries, me baisant en même
temps le front, plus je me fondais en larmes et tristesse infinie, et j’eusse
longtemps encore sangloté si, par l’escalier à vis  – que ma mère, une
seule fois, avait gravi en l’absence de Barberine, pour me souhaiter le bonsoir
 –, la tête de la petite Hélix n’était apparue, les yeux noircis par la
colère.
    — Moussu
Pierre, dit-elle d’une voix rude, Moussu lou Baron vous attend pour manger.
    Je
me levai, séchai mes pleurs, mis l’habillement propre que Barberine pour moi
avait sorti du coffre, et suivis la petite Hélix dans l’escalier à vis. Sur la
dernière marche, hors de l’ouïe de sa mère, elle se retourna et, me regardant
avec des yeux étincelants, elle me dit d’une voix basse et furieuse :
    — Grand
niquedouille, n’as-tu pas honte de pleurer comme un enfantelet dans les tétons
d’une ménine ?
    — Une
ménine ! dis-je, indigné. Est-ce bien parler de ta mère ? À peine
a-t-elle passé trente ans ! Et qui t’a permis de m’appeler
niquedouille ?
    — Je
t’appellerai comme je veux ! Niquedouille, si je veux ! Couard, si je
veux ! Ploros, si je veux !
    — Eh
bien, dis-je, tout redressé, voilà pour tes belles volontés !
    Et
je lui baillai sur chaque

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