Fortune De France
trois Valois meurent tous trois sans enfants.
— N’empêche,
dit Miroul.
Fin
novembre, Geoffroy de Caumont, que nous n’avions vu de longtemps, nous vint
voir de ses Milandes, tout plein de récits sur la rencontre des deux reines,
Jeanne d’Albret ayant été invitée par Catherine de Médicis à rejoindre la
cavalcade royale sur son parcours, afin d’embrasser son fils et s’entretenir
avec le Roi des plaintes qu’elle lui voulait faire sur Montluc.
— Je
fus, dit Caumont, non sans fierté, des trois cents cavaliers qui escortèrent
Jeanne d’Albret à son départ de Pau le deuxième jour du mois d’avril.
L’extraordinaire piquant de la chose, c’est que la reine de Navarre remontait
du sud au nord en soutenant nos Églises de sa ferveur et de ses deniers, tandis
que la Reine mère et le Roi descendaient du nord au sud en légiférant contre
nous... Savez-vous qu’à Limoges, dont elle est vicomtesse, Jeanne d’Albret
força les chanoines de Saint-Martial à porter leur chaire en haut d’une tribune
sur la grand-place, et là, les cheveux au vent, le geste large et le verbe
haut, elle prêcha pendant plus de deux heures la Religion réformée au
populaire. Le croiriez-vous ? Après son départ, les chanoines se
revanchèrent par un mesquin pasquil répandu partout par leurs soins :
Mal sont les gens endoctrinés,
Quand sont par femme sermonnés.
— Que
voilà une basse parole, et bassement pensée ! dit mon père.
— Certes !
dit Caumont. À son venin on connaît la bête !
— Les
Consuls de Bergerac lui ont-ils parlé du collège qu’Antoine de Poynet y désire
fonder pour les nôtres ? dit Sauveterre, à qui ce projet tenait fort à
cœur.
— Oui-da !
Et elle en parlera au Roi ! Mon cousin, reprit Geoffroy de Caumont, ses
yeux noirs brillant sous ses épais sourcils, le plus beau de l’affaire fut la
rencontre des deux cortèges à Macon ! Monsieur l’Écuyer, poursuivit-il en
se tournant courtoisement vers Sauveterre, et vous, mon cousin, imaginez, je
vous prie, l’ébahissement de ces courtisans musqués et des quatre-vingts
putains brodées d’or de la Florentine, quand parut la reine de Navarre, sans un
bijou, sans une perle, tout de noir vêtue, entourée de huit ministres de notre
religion, et suivie de trois cents cavaliers gascons, vêtus non de soie mais de
buffle, tout bottés et crottés, et sentant non point le musc, mais l’ail et la
sueur. Ha, mon cousin ! Il n’y a pas une France, mais deux ! Celle du
Nord, riche, fière, puissante, et toute gâtée de ses vices, et celle du Midi,
qui vaut deux fois celle du Nord.
Mon
père rit à cette saillie, mais Sauveterre, après un bref sourire, dit avec
gravité :
— Il
n’y a pas deux Frances, monsieur de Caumont, il n’y en a qu’une, et qui un jour
sera, je l’espère, huguenote.
— Amen,
dit Caumont.
— Avez-vous
vu Henri de Navarre ? demanda mon père.
— Certes !
Et plus d’une fois ! Et je l’ai observé à loisir. C’est un fort joli
prince qui, à onze ans, montre toutes les qualités qu’on attendrait d’un homme
mûr. Il sait fort bien qui il est, et quand il entre dans la conversation des
courtisans, il ne dit jamais rien que ce qu’il faut dire.
— Ha !
dit Sauveterre. Si la Cour n’était point un lieu si corrompu, je dirais que les
dangers et les intrigues qui l’environnent ne peuvent qu’aiguiser son esprit...
— ...qu’il
a fort vif, monsieur l’Écuyer ! Et aussi le parler aisé, beaucoup de
courage mêlé à beaucoup de prudence, et un œil fin qui sait déjà jauger les
hommes.
Écoutant
ces éloges, j’osai concevoir quelque jalousie pour ce Prince qui, de deux ans
mon cadet, m’était supérieur par tant de côtés. En même temps, je prenais note
soigneuse du portrait qu’avait fait M. de Caumont, afin de le répéter mot pour
mot à Miroul.
— Fasse,
dit mon père d’un air grave, que Dieu – comme le Christ autrefois fit de
l’ingrat figuier – frappe les Valois de sécheresse et de stérilité, et
que la Couronne de France descende sur Henri de Navarre !
— Le
croiriez-vous ? dit Caumont, si soulevé d’enthousiasme qu’il se leva de
son siège et fit plusieurs pas dans la librairie. Mais le grand Nostradamus l’a
prophétisé !
— Ha !
dit mon père en sourcillant. Un médecin qui fait des prophéties !
— Et
pourquoi non, si elles sont justes ? s’écria Caumont. Oubliez-vous, mon
cousin, que
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