Fortune De France
Nostradamus avait prédit dans les derniers détails le fatal
navrement d’Henri II en son tournoi contre Montgomery ?
Et
Caumont incontinent commença à réciter les vers que la France entière avait
alors répétés :
Le lion jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duel...
Il
ne put aller plus avant : Sauveterre l’interrompit :
— Nous
connaissons ces vers, dit-il, non sans impatience, et ne mettons pas en doute
la merveilleuse clairvoyance de leur auteur. De grâce, monsieur de Caumont,
poursuivez.
— Voici,
dit Caumont.
Et
il reprit, la voix forte et les yeux brillants :
— Le
dix-septième jour du mois d’octobre 1564, le cortège royal séjournant à Salon,
Michel de Nostre-Dame insista fort auprès de Catherine de Médicis pour qu’elle
lui permît d’observer seul, et à loisir, Henri de Navarre. Sur l’ordre de la
Reine, on le conduisit alors dans la chambre du Prince. Il s’y trouvait nu,
attendant qu’on lui passât une chemise, et Nostradamus commanda à voix basse
qu’on le laissât ainsi, désirant le voir dans sa nudité. Et à dire vrai, il le
considéra si longtemps qu’Henri, ne sachant pas qui il était, se demandait si
on ne le laissait nu que parce qu’on comptait le fouetter pour quelque
peccadille.
Le
sévère Caumont sourit ici d’un air attendri et fit une pause.
— Nostradamus,
reprit-il, se retira enfin sans piper, et avant de prendre congé, s’arrêtant et
regardant ceux qui servaient le Prince, il leur dit d’une voix grave : Celui-là aura tout l’héritage.
Caumont
se rassit. Mon père et Sauveterre paraissaient changés en bronze, et dans la
minute qui suivit, une gravité si recueillie envahit la pièce que c’est à peine
si j’osais souffler, craignant le bruit que je pourrais faire. Je vis du coin
de l’œil – car je n’osais non plus me mouvoir – que Samson et François
se trouvaient, eux aussi, pétrifiés. Je ne sais combien de temps durèrent ce
silence, cette immobilité, et dans ma poitrine, les battements de mon cœur,
mais bien je me rappelle que, dans l’espérance inouïe que nous donnait la
pensée d’un roi huguenot, ce fut Sauveterre qui parla le premier. Il dit d’une
voix si rauque qu’il paraissait la tirer avec grand effort de ses
entrailles :
— Prions,
mes frères.
Et
tout boiteux qu’il fût, se retenant de sa puissante main au bras de son
fauteuil, il s’agenouilla.
Les
foins de 1565 furent tout aussi beaux que ceux de l’année précédente, mais je
ne voulus point assister à la grande veillée le soir, n’ayant guère le cœur aux
gausseries, la petite Hélix me donnant des inquiétudes. Depuis un an que le mal
l’avait saisie, elle ne s’était point rebiscoulée, loin de là, ayant acquis peu
à peu une fort mauvaise couleur, la peau du visage blanchâtre et malsaine, et
quand et quand assaillie d’extrêmes douleurs et tournoiements de tête où elle
perdait presque la vue, la parole lui défaillant alors, et presque le jugement.
Mon
père l’examina à plusieurs reprises et, hésitant à conclure, il fit appel à M.
de Lascaux, malgré les sourcillements de Sauveterre, qui trouvait mauvais qu’on
fît tant de frais pour une servante. Mais mon père passa outre, ayant
compassion de la petite Hélix, et plus encore de Barberine, qui se rongeait à
voir sa fille de mois en mois plus dépérie.
M.
de Lascaux vint un jeudi en carrosse, accompagné de ses deux aides, dont je ne
compris guère à quoi ils lui servaient, sinon à lui donner de l’importance.
Apprenant que la malade était sans fièvre, il la fit mettre nue, et le masque
sur le visage, lui palpant les membres et l’abdomen de ses mains gantées,
demanda à Barberine si Hélix avait eu en son enfance petite vérole, rougeole et
oreillons.
— Non,
répondit Barberine, dont les larmes coulaient sur les joues grosses comme des
pois, elle n’a rien eu de tout cela.
— Je
le pensais, dit M. de Lascaux.
Retiré
ensuite en la librairie avec mon père, ses aides, toujours aussi muets et
moi-même, il marcha d’abord avec gravité de long en large, le front penché sous
le poids de ses grandes pensées. Cependant, mon père lui demandant
courtoisement de se remettre, il voulut bien prendre place sur un fauteuil.
— Eh
bien, monsieur de Lascaux, qu’en pensez-vous ? dit enfin mon père,
impatienté de ce long silence.
— Le
cas, dit M. de Lascaux, est parfaitement clair. La
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