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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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frérèche), Caumont
et Saint-Geniès paraissaient les mieux informés, peut-être parce qu’étant
restés le plus longtemps au sein de la Cour itinérante ils s’y étaient ménagé
quelques intelligences. Je remarquai aussi qu’ils s’exprimaient avec une
infinie circonspection, comme si nos murs eux-mêmes avaient eu des oreilles, et
usant d’un code de noms bibliques, que je fus quelque temps à percer :
Catherine de Médicis devenant, dans ce langage, Jézabel  ; le duc
d’Albe, Holopherne  ; Henri de Navarre, David ; l’amiral
de Coligny, Élie.
    — Je
tiens, dit Caumont, de source certaine, que David, se trouvant un jour dans la
salle de conférence de Bayonne, entendit Holopherne dire aux seigneurs français
qui se trouvaient là qu’il faudrait « se débarrasser de cinq ou six
chefs » de notre parti.
    — Les
nomma-t-il ? demanda mon père.
    — Oui.
Il s’agissait d’Élie, de ses deux frères [28] et du prince [29] .
Un Français fit alors observer à Holopherne que la masse des réformés devait
être, elle aussi, châtiée. À quoi Holopherne répondit, désignant clairement
Élie : Un bon saumon vaut mieux que cent grenouilles.
    — Savez-vous,
dit mon père, ce qu’Holopherne a exigé par ailleurs de Jézabel ?
    — Je
crois le savoir, dit alors Saint-Geniès. En premier lieu, l’acceptation par la
France du Concile de Trente.
    — Voilà
qui ne dépend pas uniquement de Jézabel ni même de son fils, fit remarquer
Geoffroy de Baynac, mais du Parlement et aussi de l’Église gallicane, qui y est
fort hostile, comme l’on sait, ce concile donnant au Pape sur elle et sur le
Roi de France des pouvoirs qu’il n’a jamais eus.
    — En
deuxième lieu, poursuivit Saint-Geniès, la révocation de l’édit d’Amboise.
    — Ou
du peu qu’il en reste, dit Sauveterre amèrement, Jézabel l’ayant fort grignoté.
    — En
troisième lieu, dit Saint-Geniès, ce que Caumont vient de dire : la mise à
mort du saumon et des poissons de même taille. Après ces assassinats, les
grenouilles auraient le choix, si elles ne se convertissaient, entre l’exil et
le bûcher, l’un et l’autre entraînant la perte de tous leurs biens.
    Il
y eut un silence lugubre, chacun pouvant s’imaginer, si les choses allaient au
pire, contraint de laisser à jamais derrière lui son beau château, son domaine,
ses gens, ses tenanciers et ses villages.
    — Et
à cela, dit enfin mon père, quelle fut la réponse de Jézabel ?
    — La
marchande, dit Saint-Geniès avec mépris, a voulu marchander. En bref :
donnez votre sœur et votre fils à mes enfants, et nous livrerons nos
protestants au couteau.
    — Elle
nous vendrait ! dit mon père. Et qu’a dit Holopherne ?
    — « Ce
marché, madame, n’est pas honorable. »
    — Et
en effet, il ne l’est pas, dit Sauveterre.
    — « Le
Roi catholique, poursuivit Holopherne avec une morgue tout espagnole, tient à
savoir si vous voulez, oui ou non, madame, porter remède aux choses de la
religion. »
    — J’admire
cette manière de dire, dit mon père. Exterminer la moitié d’un peuple, cela
s’appelle, en cette diplomatie de sang, « porter remède aux choses de la
religion ». Et qu’a fait Jézabel, confrontée à cette rebuffade et à cette
mise en demeure ?
    — Des
promesses, mais vagues et incertaines, mêlées à des protestations, des caresses
et des affections infinies pour le maître d’Holopherne, qu’elle appelle
« monsieur mon fils », et qui ne s’est pourtant pas dérangé pour la
venir voir à Bayonne.
    — Ce
serpent rampe dans la poussière au pied du maître espagnol, dit Caumont, et
pourtant du mariage de son mignon tant chéri avec Dona Juana, et de Margot avec
Don Carlos, il n’en est pas question. Je tiens pour certain qu’Holopherne a
transmis à Jézabel un refus tout à plat.
    Ces
paroles furent suivies d’un assez long silence, au cours duquel les
gentilshommes présents, quoique toujours inquiets et courroucés, se détendirent
quelque peu. Cette nouvelle humeur n’échappa pas à mon père, et il dit, me
sembla-t-il, avec une certaine hâte :
    — Il
faudrait y prendre garde, et ne pas se rassurer trop tôt. Si le refus du maître
d’Holopherne à ces projets de mariage nous accorde un répit, ce répit n’a pas
décroché l’épée suspendue au-dessus de nos têtes. Elle est là à osciller au
moindre vent qui souffle dans cette cervelle de femme, et elle sera là le jour
comme la

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