Fortune De France
centaines !
— Ah,
mon Pierre ! Les arbres de l’enclos autour de l’étang poussent dehors
leurs feuilles. Tendre est la nouvelle herbe, le blé est sorti déjà. Et moi,
l’an prochain, je serai dans le froid et le noir de la terre.
— Sotte
caillette, dis-je, l’an prochain tu seras à Mespech, et dans mes bras, comme ce
jour d’hui.
Elle
fit non des yeux, mais sans plus de force assez pour me contredire, elle
s’endormit, sa pauvre tête sur mon épaule ne pesant pas plus qu’un oiseau mort.
Je tombai alors dans un long pensement qui me faisait grand mal tandis que je
m’y enfonçais, et dont, cependant, je n’arrivais pas à sortir.
Le
soir de ce même jour, me trouvant seul avec mon père dans la librairie, je lui
dis :
— Monsieur
mon père, voudriez-vous m’éclairer, je vous prie ? Quand Christ se trouve
devant le tombeau de Lazare, il est écrit dans l’Évangile selon saint
Jean : « Et Jésus pleura. »
— Est-ce
là votre difficulté ?
— Oui.
Je suis fort étonné de ces larmes. Pourquoi le Christ pleure-t-il sur la mort
de Lazare puisqu’il est venu devant sa tombe tout justement pour le
ressusciter ?
— Cette
question, mon fils, dit Jean de Siorac non sans émotion, témoigne de la
scrupuleuse attention que vous portez aux Livres saints. Mais sachez qu’on y a
déjà répondu : Jésus ne pleure pas sur Lazare, comme le croient les juifs
qui l’observent. Il pleure à l’idée de l’inéluctable séparation entre les
vivants et les morts.
Cette
belle et pathétique réponse entra en moi comme une flèche, et la rapportant
aussitôt à Hélix et à moi, sans que je pusse les retenir à ma grande confusion
et vergogne, les larmes me jaillirent des yeux. Ce que voyant mon père, il se
leva, et me pressant très fort sur sa poitrine, il me dit à l’oreille avec une
grande douceur :
— Vous
avez été élevée avec la petite Hélix, elle est votre sœur de lait, vous l’aimez
de grande amitié. Ce n’est donc pas merveille que vous pleuriez son sort.
N’ayez point honte de votre chagrin, ni peur non plus de sa durée :
souffrir est un très long moment.
Je
fus comme submergé par une bonté qui s’exprimait en termes si délicats, mais en
même temps fortifié par elle, j’osai poser à mon père une question qui me
tourmentait grandement depuis que je savais que la fin de la petite Hélix
approchait.
— Monsieur
mon père, sera-t-elle sauvée ?
— Ha,
mon Pierre ! dit-il. Qui peut répondre à votre question, sinon le maître
de toutes choses ? Cependant, reprit-il après un silence, s’il y a dans
mon infirme jugement humain une once de valeur, je dirais que je l’espère et
que je le crois. Elle est rappelée si jeune.
Pour
peu qu’il me sût là, Samson s’en venait visiter la petite Hélix et, modestement
assis, éclairant la pièce de ses cheveux de cuivre, il restait à sourire à la
malade, sans se mouvoir ni parler. Miroul venait aussi la visiter, avec sa
viole.
C’était
celle de ma mère. Sauveterre avait obtenu de mon père qu’il la confiât à notre
valet, ayant observé sa jolie voix. Comme bien y comptait l’oncle Sauveterre,
Miroul s’était appris tout seul, ayant reçu du Ciel le don de mélodie. Le
dimanche, quand on célébrait la Cène à Mespech, il chantait les Psaumes de
David, tenant sur ses genoux sa viole, dont il pinçait suavement les cordes.
Que
Sauveterre eût ceci arrangé m’étonna d’abord. Je tenais la musique, même grave,
pour très voluptueuse. Mais je vis que Calvin pensait autrement, quand je lus
plus tard sous sa plume qu’« elle a grande force et vigueur pour enflammer
le cœur des hommes à louer Dieu d’un zèle plus véhément ».
Le
pauvre petit visage d’Hélix s’éclairait à voir Miroul, et chaque fois qu’il
apparaissait, elle chantait d’une voix douce et basse :
Miroul les yeux vairons,
Un œil bleu, un œil marron...
Si
sa tête ne la poignait pas trop, elle lui demandait un psaume, toujours le
même, celui qui commence par « Confie à Dieu ta route ». Miroul le
chantait d’une voix très prenante, sa viole sur les genoux. Ce psaume devait
plaire à Hélix parce qu’il chantait l’espérance et parce qu’elle se sentait
elle-même au bout de son voyage, et s’en remettant au Seigneur de sa fin
– mais elle l’aimait aussi parce qu’il y était question de
« routes » et de « chemins », et qu’elle était depuis
longtemps
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