Fortune De France
d’abord, elle est imminente. Aucune des parties n’a intérêt à ce
que la guerre continue. Et surtout, les choses ont pris pour nous (il souligne
le nous) une tournure nouvelle. Guise et son frère...
— Lequel ?
— Le
Cardinal de Lorraine... ont rencontré à Marcoing le ministre de
Philippe II d’Espagne, Granvelle. En cet entretien, il fut un peu question
de la paix, et beaucoup de la lutte contre les hérétiques...
— Je
l’aurais juré.
— Et
Granvelle, qui doit avoir de bons espions dans notre armée, dénonça aux Guise
d’Andelot. Il aurait fait prêcher la doctrine de Calvin en Bretagne, envoyé des
livres suspects à son frère Coligny, captif des Espagnols, et enfin, pendant
toute l’expédition de Calais, il se serait abstenu d’aller à messe. Que fit
Guise, à votre avis ?
— Il
répéta au Roi les accusations lancées par un ministre espagnol contre son
propre général.
— Vous
avez deviné l’odieuse vérité ! Le Roi fit aussitôt arrêter d’Andelot, et
comme celui-ci déclarait hautement sa foi, le Roi ordonna de le serrer dans le
château de Melun. Ainsi, le Roi de France emprisonne le colonel général de
l’infanterie française sur la suggestion de l’ennemi ! On ne saurait aller
plus loin dans la bêtise et la tyrannie !
— C’est
une bonne nouvelle, dit Sauveterre, malgré les apparences. D’Andelot est un
homme de guerre, et dans le royaume, un personnage considérable. L’Amiral de
Coligny aussi. En outre, ils sont par leur mère les neveux de Montmorency. Si
d’Andelot tient bon et si Coligny se convertit, le Roi peut difficilement leur
faire un procès et les brûler. Et si le Roi ne les brûle pas, comment brûler
les autres ? Nous aurons alors fait un grand pas vers la liberté de
conscience, que nous réclamons.
Siorac
secoua les épaules et fit la moue.
— Vos
espoirs, monsieur mon frère, me paraissent excessifs. Il faut compter avec la
stupidité du Roi. Il peut ne pas brûler d’Andelot et brûler néanmoins de
moindres seigneurs. La logique ne l’embarrasse guère.
Sauveterre
soupira et, dans ses orbites creuses, ses yeux noirs s’emplirent de tristesse.
À la réflexion que venait de faire Siorac, il avait compris que son frère
bien-aimé n’était pas encore disposé, malgré l’exemple de d’Andelot, à se
déclarer publiquement pour la Réforme.
— Jean,
dit-il avec douceur, vous êtes encore trop du siècle. Vous ne vous donnez pas à
Dieu sans réserve.
— Point,
dit Siorac. Je ne me réserve que pour mieux me donner. Mais trop de vies
dépendent de la mienne pour que je coure m’offrir au bûcher. L’important n’est
pas de mourir, mais de faire triompher sa foi.
Là-dessus,
Sauveterre soupira encore, et crispant les deux mains sur les bras de son
fauteuil, il se tut.
— Savez-vous...
dit Siorac en se levant et, en gagnant la fenêtre, il se campa devant elle, et
regarda le spectacle pour lui si habituel mais dont il avait presque perdu le
souvenir, de la vaste cour de Mespech avec son puits, son catalpa et son
perpétuel va-et-vient... Savez-vous que nos soldats ont bien fait leur
pelote ? Surtout Cabusse ! Ne pouvant piller la ville, ils ont pillé
les navires anglais dans le port ! Et Cabusse rapporte dans ses bagages
une substantielle picorée : un bon milliasse d’écus.
— Que
compte-t-il en faire ?
— Acheter
une terre et se marier. Mais rien ne presse.
— Tout
presse, au contraire ! dit Sauveterre. En votre absence, nous avons vu
couler de notre chambrière des torrents de larmes et souffler des soupirs à
attiser le feu d’une forge !
— Ha !
dit mon père en riant. J’ai toujours pensé que cette étoupe-là, malgré les
petits airs qu’elle se donne, ne demandait qu’un silex !
— Nous
n’en sommes plus aux étincelles, mais à la flamme, dit Sauveterre. Vous avez,
je suppose, observé ces tendres regards pendant les récits épiques de notre
Gascon. En vérité, la garce est si échauffée et si escambillée qu’elle pourrait
bien sauter ou briser les clôtures pour rejoindre son étalon. Mieux vaut les
marier avant d’avoir à sévir.
— Eh
bien, marions-les rondement, dit mon père.
— Mais
il faut d’abord que Cabusse achète sa terre. Le Breuil est à vendre.
— Le
Breuil ? Où est le Breuil ? Je connais ce nom.
— Cette
vaste terre sur le chemin de Ayzies, passé notre carrière. Le rocher affleure
partout, mais il y a une bonne source, et
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