Fortune De France
elle-même, incline, dit-on, à la Réforme. En réalité,
poursuivit-il avec un sourire rapide, c’est une louve, mais, comme celle de
Jonas, elle se fait agneau.
Il
fit une pause.
— Ici
même, reprit-il, en Périgord, les quatre frères Caumont, dont la puissance se
fonde sur l’imprenable château de Castelnau, ont pris parti depuis longtemps
pour la cause, et le Baron de Biron, capitaine des compagnies du Roi dans la
sénéchaussée de Sarlat, n’agira pas contre nous, même s’il en reçoit l’ordre.
La preuve en est que lorsqu’il y a eu ce tumulte début décembre à Sarlat, le
populaire s’étant ému de ce que M. Duroy ici présent ait enterré un des nôtres,
M. Delpeyrat, sous la lanterne des morts sans prêtres ni flambeaux, Biron
refusa à l’évêque de Sarlat l’appui de ses hommes d’armes.
Mon
père se tut à nouveau, puis il dit d’un ton grave en détachant les mots avec
beaucoup de force :
— M.
de Sauveterre et moi avons décidé, après de longues réflexions, que le moment
était venu pour nous de cesser d’ouïr la messe, et de déclarer ouvertement
notre foi. Messieurs mes fils, ajouta-t-il en se campant devant nous les mains
aux hanches et en nous dévisageant l’un après l’autre d’un air impatient et
sévère, que vous en semble ? Parlez ! Suivrez-vous votre père ?
— J’épouserai
la foi de mon père bien volontiers et de tout cœur, dit François, un peu trop
hâtivement peut-être.
— Je
suis déjà de la religion, dit Samson d’une voix douce. Je n’en connais pas
d’autre.
Comme
je ne disais rien, mon père me jeta un coup d’œil impérieux et dit d’un ton
bref :
— Et
toi, Pierre ?
Je
dis, le cœur me battant un peu :
— J’ai
été élevé par ma mère, avec votre accord, dans le culte catholique. Mais je
n’ai pas dix ans. Je suis très ignorant. Souffrez qu’avant que je vous suive je
vous demande de m’instruire davantage sur la religion réformée.
Les
yeux de mon père étincelèrent.
— Je
ne me satisferai pas d’une réponse dilatoire ! dit-il d’un ton irrité.
Prends garde, Pierre, que ce retard à me suivre ne te soit en réalité inspiré
par le démon !...
Le
ministre Raymond Duroy leva la main et, son noble et sévère visage tourné vers
mon père, il dit d’une voix grave :
— C’est
sur un sol résistant que se bâtit une foi solide. Tout n’est pas imputable au
Malin. Si Pierre désire être instruit des vérités de notre foi, je me chargerai
bien volontiers de son instruction.
Encore
tout ébranlé du soudain courroux de mon père – qui était pour moi en
toutes choses mon modèle et mon héros – je regardai le ministre Duroy. Je
lui savais gré de son inattendu secours, mais plus j’observais sa carrure
d’athlète, sa vénérable barbe blanche, son front bossué de savoir et de
sagesse, plus je me sentais petit devant lui. Dans son pâle et vigoureux visage
vivaient de profonds yeux noirs dont le regard brillant était à peine
soutenable, et je me dis que j’avais à peu près autant de chances de résister à
ce formidable champion de la foi nouvelle que de lutter à mains nues avec
Jonas.
CHAPITRE VI
Le
ministre Duroy ne mit pas huit jours à me convertir. Encore fit-il en ce laps
de temps bien d’autres choses, car c’était un homme d’une activité inlassable,
toujours à chevaucher par les combes et les pechs pour prêcher la bonne parole
parmi le populaire.
Avant
d’ouvrir la bouche, il avait, quant à moi, partie à demi gagnée : la messe
à Mespech, je l’avais noté dans mes ans les plus tendres, c’était l’affaire des
femmes et du domestique. Le culte catholique, c’était le curé Pincettes,
ignare, ivrogne et paillard, posant en confession des questions curieuses à
l’extrême et que j’écoutais avec confusion, tant elles m’apprenaient de choses.
C’étaient aussi les méchants qui avaient brûlé Anne du Bourg et, avant lui,
cette longue série de martyrs dont la frérèche citait les noms avec vénération.
Je n’admirais rien au-dessus de mon père et de l’oncle Sauveterre et, par eux,
j’appartenais déjà à un parti – celui des huguenots persécutés –
avant même d’adhérer à une foi.
Cependant,
je n’y adhérai pas sans quelques réticences que je compris qu’il fallait taire
pour ne pas entrer plus avant en querelle avec le père que j’aimais. Ainsi je
trouvais obscur ce qu’on me disait du salut qui se
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