Fortune De France
gagnait par la grâce, non
par les œuvres, et de mon point de vue, peut-être simpliste, la religion de ma
mère me satisfaisait là-dessus davantage. J’étais, en outre, attaché au
purgatoire, que je tenais pour une institution bien commode où, dans mon
repentir, j’aurais accepté de faire un court séjour pour me laver de mes
fautes, et en particulier de mes jeux avec la petite Hélix.
J’étais
plus attaché encore à la Vierge Marie qui, dans mon esprit, s’identifiait à
Barberine, à son sein chaleureux, à son doux visage, à ses bras consolants.
Dans cette religion nouvelle, il n’y avait, si j’ose exprimer ainsi ma puérile
opinion, que des hommes à aimer. Ce que je sentais alors, je le pense toujours
en quelque façon. Puisque aucun Créateur – même quand nous repoussons les
images et les idoles – ne peut échapper à la ressemblance de l’homme,
n’est-ce pas pitié que rien de la femme ne soit divinisé, et pas même sa
fonction maternelle ?
Mon
père avait fait promettre à ses fils le secret de la décision de la frérèche
tant que je ne serais pas rallié, et pendant les huit jours que dura mon
instruction, ma mère, les frères Siorac et tout le domestique ignorèrent que
Mespech allait basculer – eux compris – dans le camp de la Réforme.
Encore mon père se réserva-t-il Isabelle de Siorac pour la bonne bouche, car il
la consigna en sa chambre avec Franchou le dimanche 22 décembre au soir. Il
avait décidé de profiter, ce soir-là, de la présence dans nos murs de Jonas,
Cathau et Cabusse, pour entreprendre, après le dîner, la conversion en masse de
nos gens.
Les
deux chandeliers (qui n’avaient plus servi depuis le soir où Sauveterre nous
avait raconté la prise de Calais par les Anglais en 1347) furent, sur l’ordre
de Jean de Siorac, allumés par la Maligou pour souligner la solennité de
l’heure, ou peut-être symboliser les lumières que la frérèche allait apporter à
ses serviteurs. À l’extrémité de la table, nettoyée de ses reliefs par les
femmes, siégeaient le Baron de Siorac, M. de Sauveterre et le ministre Duroy,
dont les cheveux blancs étaient illuminés par les hautes flammes qui derrière
lui dansaient, dessinant comme une auréole autour de sa tête vénérable.
De
chaque côté de la longue table, à l’exception de Franchou, que le service de sa
maîtresse retenait à l’étage, nos gens avaient pris place, non pas n’importe
comment, mais selon un ordre de préséance qui ne laissait rien au hasard, car
du haut bout (celui où le ministre et la frérèche étaient assis) jusqu’au bas bout,
où les femmes avaient pris place, l’importance des convives allait en
décroissant : les fils d’abord, Catherine ensuite (âgée alors de six ans),
puis les frères Siorac (parce qu’ils étaient de notre parentèle), Cabusse et sa
femme (parce qu’ils étaient propriétaires du Breuil), les deux soldats (en
raison de leur ancienneté à notre service), Jonas et Faujanet (qui, recrues
récentes, passaient après eux), et enfin Barberine, la Maligou, Franchou,
(quand elle était là), et la petite Hélix portant dans ses bras Annet, le bébé
de notre nourrice, et enfin la Gavachette, qui avait tout juste l’âge de ma
sœur Catherine, mais aussi brune de peau et de cheveux que Catherine était
blonde.
Nos
gens n’étaient pas tout à fait sans pressentir ce qui allait se passer, d’abord
parce que les opinions de la frérèche leur étaient depuis longtemps connues,
même si, par prudence ou loyauté, aucun d’eux n’en avait jamais fait état hors
de nos murs, et ensuite parce qu’ils savaient fort bien qui était Raymond
Duroy, le tumulte qui avait suivi l’enterrement huguenot de Delpeyrat sous la
lanterne des morts à Sarlat l’ayant fait connaître de tous en nos régions. Mais
ils se doutaient peu de l’engagement qu’on allait leur demander, croyant
peut-être, en leur naïveté, que des serviteurs catholiques pouvaient continuer
dans le service d’un maître huguenot.
Là-dessus,
mon père les détrompa. Assis, debout, allant et venant, s’arrêtant, croisant
les bras, plaçant les mains sur les hanches, il parla à sa manière impatiente
et pétulante, un peu sans ordre ni suite, tant la passion l’emportait, mais
enfin le sens de son discours était clair. M. de Sauveterre, le Baron de
Siorac, ses trois fils, François, Pierre et Samson de Siorac, allaient se
déclarer publiquement pour la religion
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