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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et
la louve, tournant alors la gueule vers lui, poussa un soupir, et le regarda
avec tant d’amour que je crus bien, en effet, que le miracle allait se produire
là, sous mes yeux, tandis que je me goinfrais de châtaignes rôties.
    — Jonas,
dit Samson, comment as-tu apprivoisé ta louba ?
    — Par
la patience et l’amitié. Je l’ai trouvée dans un trou de renard qu’elle avait
agrandi, les yeux fiévreux, maigre à montrer les côtes. Elle s’était cassé une
patte, et pour échapper à sa meute qui, comme vous savez, achève et mange les
bêtes blessées, elle avait dû se réfugier là. Je lui ai apporté du lait, puis
un peu de chair, et quand elle a réussi à se traîner hors du trou, je lui ai
passé une corde de chanvre autour du museau, et je lui ai remis la patte.
    — Tu
es donc aussi rebouteux, Jonas ? dis-je en le regardant avec
considération.
    — Eh
oui, j’ai appris à rebouter de mon grand-oncle qui, dans son village, était
aussi un peu sorcier, mais pour le bien, non pour le mal, tant est que même le
curé le respectait. Ah, si mon grand-oncle vivait encore ! dit-il en
laissant sa phrase en suspens et en regardant rêveusement sa louve.
    Là-dessus,
je m’endormis, et Samson aussi, sur une paillasse de feuilles de châtaignier
préparée par Jonas ; trois grandes peaux de mouton empilées sur nous, si
bien que, le feu s’éteignant, je me réveillai à l’aube, le corps chaud et le
visage glacé. Je fus étonné, en ouvrant les paupières, de ne pas me retrouver
dans la tour de Mespech, et comme j’allais les refermer, je rencontrai deux
grands yeux fauves qui me regardaient fixement. Mes cheveux se dressèrent.
C’était la louve.
    — Jonas !
criai-je.
    — Qu’y
a-t-il ? dit Jonas, debout, sa tête me surplombant à une hauteur
vertigineuse.
    — Ta
louba me regarde.
    — Un
chien regarde bien un évêque, dit Jonas. Dormez, Moussu Pierre. Il n’est pas
temps encore pour le lait du matin. Le feu n’est même pas rallumé.
    Je
me rendormis et je rêvai qu’un vieillard au regard noir effrayant entrait dans
la grotte. Il était grand, plus grand même que Jonas, et se penchant sur lui,
il prononçait des mots inintelligibles en traçant au-dessus de sa tête des
signes étranges. Alors, le visage de Jonas se tournait en museau, et son grand
corps se changeait en celui d’un loup. Il se levait, bâillait, montrant d’énormes
dents blanches et pointues puis, venant s’asseoir tout contre sa louve, il
claquait les mâchoires. Il me regardait lui aussi fixement sans que je puisse
savoir si c’était avec haine ou avec amitié.
    À
peine étions-nous rentrés à Mespech que Barberine, qui nous attendait, vint
au-devant de nous, et la petite Hélix la suivant, avec l’enfantelet dans ses
bras, et m’adressant derrière son dos force grimaces.
    — Doux
Jésus, vous voilà enfin ! Moussu le Baron vous attend dans sa librairie
avec Moussu de Sauveterre pour une communication de grande conséquence. Mais
vous ne pouvez paraître ainsi : vous puez. Allez vous dépuer quelque peu
et coiffez-vous.
    Ce
que nous fîmes, changeant aussi de linge, Barberine se plaignant que, même
lavés à grande eau, nous sentions encore « la chèvre, le loup, et pis
encore ». Tandis que nous mettions l’un et l’autre une roide chemise
parfumée à la lavande, la Maligou entra pour nous renifler sous le nez.
    — Ah !
Mes pauvres ! dit-elle. Je respire autour de vous une forte odeur de
soufre (elle fit le signe de croix sur nos têtes). C’est donc bien ce que je me
pensais : cette louba est une sorcière qui a pris la forme d’un animal
pour leurrer notre carrier et le conduire droit à l’enfer.
    — Tais-toi
donc, Maligou, dit Barberine. Les Capitaines n’aiment point qu’on parle ainsi,
surtout à nos jeunes messieurs. (Mais cependant, il était aisé de voir que les
paroles de la Maligou avaient fait impression sur elle.)
    — Et
dites-moi, Moussu Pierre, dit la Maligou en s’adressant à moi d’un air entendu,
est-ce que Jonas aime cette louba ?
    — Oh !
Pour ça, oui ! dis-je. Au point de souhaiter que Dieu fasse de la louba
une femme pour la marier.
    — Hélas !
dit la Maligou, toute la gelée de son corps informe tremblant de compassion.
C’est bien ce que je me pensais. Voilà notre carrier déjà bien leurré et dupé
et entortillé dans les rets des septante-sept démons de l’enfer. Ce n’est pas
le Seigneur Dieu qui change les louves en

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