Fortune De France
comme rats
en paille !
La
Maligou esquissant un signe de dénégation, Jean de Siorac leva la main et dit
en haussant la voix :
— Ne
mens pas, Maligou, ou sur l’heure je te congédie.
— Doux
Jésus ! dit naïvement la Maligou. Mais si je ne mens point, je serai
chassée tout pareil !
— C’est
donc vrai !
La
Maligou se mit à trembler.
— Hélas,
Moussu lou Baron, je n’ai pu résister : il parle si bien !
— Et
tant plus mal il agit ! N’as-tu point vergogne de paillarder comme putain
cramante, toi une femme mariée, et de commettre l’adultère, et avec Pincettes
encore ?
— Justement,
Moussu lou Baron, avec un curé, ce n’est qu’un demi-péché ! Surtout qu’il
a la bonté de m’absoudre, après !
Jean
de Siorac leva les bras au ciel.
— Personne
ne peut t’absoudre de péché mortel, paillarde, sauf le Père qui est dans le
ciel.
— Aussi
je le prie dévotement tous les soirs par l’intercession du fils, dit la Maligou
en baissant les yeux, car au même instant elle promettait à la Vierge Marie de
brûler une chandelle devant son image au grenier, si mon père, par miracle, ne
la chassait pas.
— Et
si Pincettes te faisait un bâtard ?
— Oh !
Pour ça non ! dit la Maligou d’un air malin et savant. Je connais les herbes,
et je sais où les mettre !
— Et
quelles sont ces herbes ? dit mon père, qui était toujours très curieux
des simples utilisés dans les chaumières.
— Avec
votre respect, je ne saurais vous le dire, dit la Maligou. La ménine, qui me
les a enseignées, m’a fait promettre le secret.
— Tu
me le diras, si tu ne veux point que je te chasse.
— Moussu
lou Baron, dit la Maligou, le cœur battant et ouvrant de grands yeux, si je
vous le dis, vous ne me chasserez point ?
— Tu
as ma parole, dit Jean de Siorac qui, dès la première minute, avait décidé,
pour des raisons fort sages, d’étouffer l’affaire.
— Merci
mon Dieu, et vous, doux Jésus ! dit la Maligou qui, les mains croisées sur
son ventre et les yeux chastement baissés, prononça en son for intérieur une
action de grâces : « Et merci surtout à vous, Vierge Marie, de ce
miracle que voilà, et d’avoir pardonné ma faiblesse. Je me pensais bien aussi
qu’entre femmes on se comprendrait bien toujours. Mais merci encore de votre
amabilité, bonne Vierge, et vous aurez votre chandelle, et c’est promis, et
bien ladre qui lésinerait. »
Après
que la Maligou lui eut dit les herbes et « où les mettre », mon père
lui fit promettre de ne plus revoir Pincettes de jour ou de nuit, d’aube ou de
crépuscule, à la chandelle ou à la lumière du jour, et de ne jamais, à âme qui
vive, apprendre par vanterie cette fornication. Puis il chargea Coulondre
Bras-de-fer de porter désormais ses repas à Pincettes, ce que Coulondre fit
sans que le curé pût jamais tirer de lui autre chose que des remarques
laconiques et funèbres sur l’avenir du monde.
Jean
de Siorac fut si prudent en cette affaire qu’il n’en toucha mot à Jean de
Sauveterre qu’une fois Pincettes hors de nos murs.
— Ah,
Jean ! dit Sauveterre avec reproche. Tu m’as donc caché quelque chose !
— Il
le fallait. Je craignais de toi un éclat.
— Et
maintenant que Pincettes est parti, vas-tu chasser la Maligou ?
— Non
point. Elle a ma parole. Et c’est pour le coup qu’elle se répandrait partout en
vanteries et clabauderies qui feraient le tour des villages ! Non, mon
frère, clignons les yeux doucement sur sa faute et gardons-la. En outre,
ajouta-t-il avec un sourire, il n’y a pot ni rôt en Périgord qui approche les
siens.
Ce
n’est pas Montluc, mais le sieur de Saint-Geniès, gouverneur pour le Roi en
Périgord, qui rétablit l’Église catholique à Montignac. Ses troupes, armées de
canons, vinrent assiéger, le 14 août, Arnaud de Bord. Il se rendit trois jours
plus tard avec ses partisans, et le 11 septembre, après un procès rondement
mené, seize d’entre eux furent pendus sur la place de Montignac, et parmi ces
seize figurait le pauvre Batifol, dont Coulondre Bras-de-fer avait si
lugubrement prévu la fin deux semaines plus tôt. Quant à Arnaud de Bord, il ne
fut supplicié que le 18 octobre, sans qu’on pût jamais savoir les raisons de ce
cruel délai.
Pincettes,
rassuré sur son avenir, nous avait quittés depuis deux semaines déjà, quand un
certain Monsieur de L. (c’est ainsi qu’il est désigné dans le Livre
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