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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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poussait aussi un
soupir. Quant à Monsieur de L., il ne pressa pas le point davantage, mais il
prononça un discours un peu long pour demander à ses hôtes une contribution en argent
à l’entretien des troupes que Duras rassemblait à Gourdon. Les deux frères, se
retirant dans un petit cabinet attenant à la librairie, conférèrent seuls
quelques minutes sur cette demande et revinrent avec une somme de mille écus
 – énorme sacrifice pour qui les connaissait. Monsieur de L. compta les
écus comme s’il se fût agi de quelques sols et sans paraître autrement étonné.
Quand ce fut fait, il écrivit, en style redondant, un très beau reçu au nom du
prince de Condé. Après quoi, il demanda qu’on rassemblât son escorte, et après
mille compliments, il s’en alla.
    Dans
les jours qui suivirent, mon père perdit tout enjouement, déchiré qu’il était
entre ses deux fidélités, l’une à la vraie religion, l’autre au Roi ou, comme
il disait, « à sa nation ». Je sus bien plus tard que Condé lui-même
et, bien davantage, Coligny étaient passés par les mêmes affres. Ils
tranchèrent autrement et, certes, je ne les juge pas. Pour mon père, ce fut
l’abandon de Calais qui le décida dans le sens opposé, mais non sans une
blessure qui fut longue à se refermer. Quelques années plus tard, j’entendis
Jean de Sauveterre remarquer que dans une affaire qui mettait en jeu des
devoirs contraires, quel que fût le parti auquel on s’arrêtât, on « ne
pouvait que se sentir ensuite dans son tort ».
     
     
    Une
semaine après la brève apparition de Monsieur de L. à Mespech, ma mère accoucha
d’un enfant mort-né et fut prise presque aussitôt d’une fièvre ardente et
continue. Mon père ne quitta pas son chevet, et dormait la nuit dans le petit
cabinet qui avait abrité Pincettes, et se faisait porter ses repas dans la
chambre de sa femme. Bien qu’il n’apparût plus dans la salle commune, je savais
que l’état de ma mère empirait au long visage triste d’Alazaïs quand elle
venait à la cuisine chercher les viandes pour mon père et le lait chaud pour la
malade.
    Cette
situation durait depuis une semaine quand mon père me fit appeler dans le petit
cabinet qui était maintenant sa chambre. Je le trouvai assis, les deux coudes
sur une petite table et la tête dans ses mains. Il ne bougea pas quand j’entrai
et, intrigué par son immobilité  – lui qui était d’ordinaire si vif et si
allant  – je restai debout devant lui, osant à peine respirer, et le cœur
plein d’appréhension à le voir si différent de sa coutume. Bien pis ce fut
quand, sentant enfin ma présence, il retira ses mains de son visage et me
laissa voir ses yeux dont les larmes coulaient, une à une, le long de ses joues
mal rasées. Je n’en crus pas mes propres yeux et je restai à le regarder, béant
et stupide, mes jambes tremblant sous moi, un vide affreux dans ma poitrine, et
la tête comme perdue, tant le monde solide où j’avais vécu jusqu’alors me parut
s’effriter et se réduire en miettes quand je vis mon héros pleurer.
    — Pierre,
dit enfin mon père d’une voix faible et détimbrée, votre mère se meurt et
demande à vous voir. Je ne vous suivrai pas en sa chambre. Elle a désiré vous
voir seul.
    Il
se leva, et quand il fut debout, il se ressembla si peu en son attitude et
allure, paraissant tout d’un coup faible, voûté, âgé et, qui pis est, mal tenu,
lui qui était tant propre et coquet en sa mise, que sa vue m’affligea presque
autant que la nouvelle qu’il venait de m’apprendre. Comme si tout mouvement lui
était devenu insupportable, sans bouger, il me montra de la main la porte qui
conduisait à la chambre de ma mère, et passant devant lui, pâle, suant, les
yeux baissés (tant sa faiblesse me faisait à la fois honte et peur), j’entrai.
    La
fortitude de ma mère me rasséréna, bien que la mort, même à mes jeunes yeux,
fût déjà inscrite sur son visage, celui-ci montrant une orbite creuse, une joue
décharnée et une prunelle égarée et fiévreuse. Mais elle était parée de ses
couleurs ajoutées, le cheveu bouclé avec le dernier soin, et le front toujours
altier.
    — Asseyez-vous,
Pierre, dit-elle d’une voix faible et pressée, mais bien articulée. J’ai peu de
forces et peu de temps. Ma tête s’en va, je suis dans un nuage.
    Je
m’assis sur un petit tabouret où, je suppose, mon père était resté des heures,
depuis une semaine, à se ronger

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