Fourier
courte
période nommée « ombre du bonheur » ou tout simplement Edénisme. Cinq «
périodes malheureuses », lui succèdent, « âges de perfidie, injustice,
contrainte, indigence, révolutions et faiblesse corporelle » : la première, la
Sauvagerie, qui se caractérise par une économie arriérée et une grande inertie
psychique, est suivie de périodes plus lugubres encore, Patriarcat, Barbarie et
Civilisation. Les balbutiements de l’histoire humaine se terminent par deux
périodes transitoires, le plus souvent appelées Garantisme et Sociantisme ou
Association simple, où certaines réformes de l’économie ou des relations entre
les sexes préparent l’avènement des véritables Phalanges et de l’Harmonie.
Après quelque cinq mille ans de chaos et de souffrance, Fourier
prévoit une phase « d’accroissement » ou « Harmonie ascendante » longue de
trente-cinq mille ans. Cette deuxième phase, que caractérisent la vigueur,
l’intelligence éclairée et la satisfaction des passions, se divise en huit
périodes et huit nouvelles « créations », qui culminent en une phase pivot ou «
amphiharmonique » de bonheur sans mélange. La troisième période décline
progressivement jusqu’à une quatrième période de « caducité ». Selon ce
système, la vingt-cinquième phase marque donc l’apogée après lequel l’humanité
retombe progressivement de l’Harmonie au Chaos, retraçant à rebours les sept
phases initiales. Enfin, après seulement quatre-vingt mille ans d’existence, la
vie végétale et la vie animale s’éteignent et la terre cesse de tourner sur son
axe.
Cette vision de l’histoire est assez ambiguë puisque la
recherche du bonheur y est liée à la destruction finale. Comme a pu l’écrire
Frank Manuel, « l’humanité est conviée aux plaisirs terrestres du Phalanstère
mais ne reçoit aucune promesse d’éternité. Les joies de la terre sont réelles
mais forcément transitoires 4 ».
Notons cependant que Fourier ne s’est jamais véritablement étendu sur les
sombres conséquences de sa vision. Il est bien plus disert sur les premiers
stades, le passage de l’Edénisme à la Civilisation puis à l’Harmonie que sur
les phases de déclin. Et lorsqu’il se demande comment un Dieu juste et
omniprésent peut tolérer les maux de la civilisation et les périodes
d’injustice et de perfidie, il répond tout aussitôt, presque désinvolte, que ce
même Dieu a accordé aux périodes harmonieuses de l’histoire humaine une durée
sept fois supérieure aux périodes de souffrance. Voilà qui ne semble pas
manquer de générosité. De plus, ce n’est guère le moment, alors que la civilisation
s’essouffle et que se prépare un règne de soixante-dix mille ans de bonheur
ininterrompu, d’ergoter avec Dieu ou de se soucier de l’extinction future de la
vie sur terre.
II
En établissant ce parallèle entre l’histoire et les différents
âges de la vie d’un homme, de la petite enfance à la sénilité, Fourier, comme
Saint-Simon à la même époque, s’approprie l’une des métaphores centrales qui,
de saint Augustin à Turgot, caractérisent la grande tradition de la philosophie
de l’histoire. Si pour Saint-Simon, cependant, le principal problème de son
temps, le conflit entre société féodale et société industrielle, relève de la «
crise de puberté », pour Fourier, l’humanité n’en est encore qu’à sa première
rage de dents 5 . Alors que
Saint-Simon pose l’activité scientifique ou industrielle comme moteur du
changement, Fourier, dans ses premiers écrits, cherche à jeter les bases d’un
système où chaque période historique serait définie par le statut des femmes.
Il tente ainsi d’élaborer une théorie des mutations sociales où l’élément
décisif serait d’ordre sexuel plutôt qu’économique. Comme il l’écrit dans les
Quatre Mouvements :
Il y a dans chaque période un caractère qui forme PIVOT
DE MECANIQUE et dont l’absence ou la présence détermine le changement de
période. Ce caractère est toujours tiré de l’amour 6 .
Pour lui, la période de la Barbarie est marquée par « la
servitude absolue des femmes », celle de la Civilisation par « le mariage
exclusif et les libertés civiles de la femme », alors que la période suivante,
celle du Garantisme, serait caractérisée par une sorte de « corporation
amoureuse » où les femmes jouiraient d’une grande liberté sexuelle.
Si les Barbares adoptaient le
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