Fourier
à la marche à
reculons de l’écrevisse.
Loin de n’être qu’un ajout tardif, cette théorie de l’évolution
historique ne saurait constituer pour Fourier un élément mineur de sa doctrine.
La réflexion sur l’histoire des sociétés humaines apparaît très tôt dans sa
carrière intellectuelle, et ses notes les plus anciennes fourmillent de
déclarations et de spéculations sur les diverses phases historiques du «
mouvement social » sur terre. Dans l’article de 1803 intitulé « Harmonie
universelle », par exemple, il présente sa grande découverte comme une «
théorie des seize ordres sociaux qui peuvent s’établir dans les divers globes
pendant l’éternité », et, dans un long manuscrit daté de la même année, il
définit en ces termes l’évolution historique :
PIVOT
Affranchissement des industrieux
Contre-poids
Système représentatif
Ton
Illusions en liberté
APOGÉE, OU PLÉNITUDE
Germes
Art nautique, chimie expérimentale
Caractères
Déboisement, emprunts fiscaux
Vibration descendante
VIRILITÉ, OU 3e PHASE
Germe simple
Esprit mercantile et fiscal
Germe composé
Compagnies actionnaires
PIVOT
Monopole maritime
Contre-poids
Commerce anarchique
Ton
Illusions économiques
CADUCITÉ, OU 4e PHASE
Germe simple
Monts-de-piété urbains
Germe composé
Maîtrises en nombre fixe
PIVOT
Féodalité industrielle
Contre-poids
Fermiers de monopole féodal
Ton
Illusions en association 17
Toute société porte en elle la faculté d’engendrer celle
qui la suivra. Elle arrive à la crise de l’enfance quand elle a atteint la
plénitude de ses caractères essentiels.
Dans la Théorie des quatre mouvements, il tente à nouveau de
caractériser les périodes historiques en termes de modes dominants de relations
entre les sexes 18 .
Les écrits de Fourier sur l’histoire sont suffisamment riches de
pistes possibles pour avoir attiré l’attention de commentateurs aussi
différents que Friedrich Engels et Raymond Queneau. Plusieurs générations
d’historiens marxistes ont suivi Engels en saluant chez Fourier un usage «
magistral » de la dialectique historique 19 .
Leurs arguments ne semblent malheureusement reposer que sur quelques parallèles
formels entre les écrits de Fourier et ceux de Marx. Fourier a certes pu dire
de la Civilisation qu’elle était prise dans un « cercle vicieux » de
contradictions, soutenir que les sociétés engendrent les forces qui les
détruisent, ou parler de « guerre des classes ». Mais son concept de classe,
par exemple, est pour le moins rudimentaire : la « lutte » se résume à un
conflit entre riches et pauvres, ou entre le marchand et ses victimes. En fait,
Fourier n’a jamais étoffé les idées esquissées ça et là dans ses premiers
écrits, pas plus qu’il n’a véritablement cherché à analyser la façon dont les
forces à l’œuvre dans une période historique donnée peuvent donner naissance à
une autre période. Il semble que ce qui préside à l’élaboration de sa théorie
historique soit moins le désir de comprendre une évolution qu’un certain
penchant pour la symétrie. Ce n’est pas une coïncidence si les trente-deux
périodes d’ascension et de déclin des sociétés humaines correspondent
exactement à sa répartition des différents âges de l’homme, d’une part, à sa
conception des « séries de base » (seize tribus et trente-deux chœurs) qui
doivent former la Phalange, d’autre part 20 .
Il semblerait en fin de compte que la théorie historique de
Fourier joue dans l’ensemble de son œuvre un rôle plutôt ornemental
qu’essentiel. La perspicacité, l’intérêt d’un Marx ou d’un Saint-Simon pour la
dimension spécifiquement historique de l’expérience humaine lui font défaut, et,
comme beaucoup de penseurs des Lumières, il a plus à cœur de dévoiler
l’organisation cachée de la nature que d’analyser les processus d’évolution :
s’il invoque l’histoire, c’est avant tout pour rendre plus dramatiques encore
les maux de sa propre époque. Une réflexion plus approfondie peut en effet
sembler superflue à un homme pour qui l’intervention d’un seul capitaliste
fortuné suffirait à terrasser la Civilisation.
III
Nous venons de le voir, les premières phases « perfides » de
l’histoire humaine sont d’abord décoratives. Il en va de même pour les périodes
intermédiaires entre la Civilisation et l’Harmonie. Si l’éventuel avènement de
la société idéale se situe dans
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