Fourier
dîmes et des
indulgences amoureuses, c’est incorporer à son utopie une parodie du
catholicisme et de ses pratiques - avec comme objectif d’illustrer par une
telle parodie ce que serait une éthique qui ne ferait plus une valeur cardinale
de l’ascétisme ou de la solitude.
La vertu, pour Fourier, consiste en « l’extension des liens
sociaux », et le chemin pour y parvenir est de suivre sa propre pente. On voit
donc, dans le monde de Fourier, non seulement l’érotisme mais aussi la
gourmandise devenir des formes de piété : les prêtres pourront enfin «
supprimer toutes les prédications d’abstinence et de s’évertuer eux-mêmes à
bien officier à d’excellentes tables qui leur seront fournies à leurs cinq
repas 46 ». On est en présence d’un
univers à certains égards rabelaisien, qui tourne en dérision l’ascétisme
chrétien et établit un lien étroit entre plaisir érotique et plaisir
gastronomique. Mais on ne trouve pas chez Fourier la verdeur, le réalisme
grotesque dans la célébration du corps et des fonctions organiques qui sont la
marque de Rabelais 47 . Fourier ne
puise pas, comme le curé de Meudon, dans la tradition paillarde des contes et
fabliaux médiévaux. Il s’inspirerait même plutôt, pour la parodier, d’une autre
tradition : la tradition aristocratique de la chevalerie et de l’amour courtois
des romans et des chansons de troubadours : son pontife femme, ses prêtresses,
ses amants céladoniques, ses bandes de chevaliers errants, ses codes amoureux
raffinés sont à certains égards autant de parodies du répertoire propre à
l’amour courtois*.
* Fourier écrit à une époque où l’on assiste à un regain
d’intérêt pour l’amour courtois et pour les chansons de troubadours. En 1817,
le philologue Raynouard a publié son Choix des poésies originales des
troubadours, où il fait découvrir le Traité de l’amour courtois d’André Le
Chapelain et où il avance que les cours d’amour décrites par ce dernier étaient
de véritables tribunaux, où l’on jugeait des disputes amoureuses. Cinq ans plus
tard, dans un appendice à De l’amour, Stendhal note : « Il y a eu des cours
d’amour en France, de l’an 1150 à l’an 1200. Voilà ce qui est prouvé. »
Aujourd’hui, les spécialistes considèrent l’amour courtois plus comme une
convention littéraire que comme une réalité historique, et voient dans le
traité d’André Le Chapelain « plus une satire qu’une bible de l’amour courtois
», de sorte que l’œuvre de Fourier, avec ses traits satiriques et parodiques,
s’avère finalement être plus dans l’esprit de la tradition, telle que la
recherche actuelle la voit. Voir Joan M. Ferrante et George D.
Economu (éd.), In Pursuit of Perfection: Courtly Love in Médiéval Literature
(Port Washington, N.Y., 1975), Jacques Lafitte-Housat, Troubadours et cours
d’amour, 2e édition (Paris, 1960), et Roger Boase, The
Origin and Meaning of Courtly Love: A Critical Study of European Scholarship
(Manchester, 1977).
La seconde observation qu’on peut faire au sujet de la
libération sexuelle telle que Fourier l’envisage porte sur l’insistance avec
laquelle il réclame une totale transparence dans les relations sexuelles. Dans
le nouveau monde amoureux, l’acte d’amour se passe généralement en plein jour;
c’est un acte communautaire, et rapidement consommé ; lorsque le soir on se
retire dans sa chambre, c’est pour y dormir, en règle générale seul. Cela vaut
même pour les bandes d’aventuriers et les chevaliers errants d’Harmonie : « Les
croisés useront fort sobrement d’amour pendant cette nuit. » De plus, en
Harmonie, toute accointance étant connue, « hors des coteries de monogynes »,
tout se passerait au vu et au su de tout un chacun, « les dispositions étant
telles que rien ne peut être caché dans les classes d’amour polygame 48 ».
Fourier tient à ce que la sexualité ait ce caractère ouvert
parce que ce serait, dans son esprit, en finir avec l’hypocrisie qui règne, en
ce domaine, dans la Civilisation. En Harmonie, on ne verra point, « comme parmi
nous, des gens incapables de délicatesse amoureuse s’arroger le rôle d’apôtres
sentimentaux » : chacun sera « fort libre de ses actions », mais chacun sera «
classé exactement au rang qu’elle lui assignent 49 ». Pour être sûr que les besoins et penchants de chaque Harmonien soient connus
de chacun, il portera d’ailleurs un écusson les
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