Fourier
par le déclin du nomadisme et l’avènement de sociétés agricoles
sédentaires aux systèmes politiques centralisateurs et autoritaires. Fourier
n’a que mépris pour cette période : ses descriptions des « horreurs » qui la
caractérisent sont tirées soit de passages bibliques sur les « crimes et
brutalités » des patriarches hébreux, soit des terribles récits de Raynal et
autres écrivains du XVIIIe siècle sur les infanticides, la fraude commerciale
et la « fourberie légalisée » qui sont monnaie courante en Chine. Fourier
conseille également à ses lecteurs d’observer les mœurs des « patriarcaux
modernes » : les circassiens vendent leurs filles comme esclaves, les Corses ne
cessent de se quereller et les Arabes pratiquent la « pédérastie générale ». «
Voilà les vertus des patriarcaux connus de nos jours », conclut-il. « Elles
peuvent aller de pair avec celles d’Abraham et Jacob 12 ».
La principale différence entre le Patriarcat et la Barbarie, qui
vient ensuite, semble consister en une intensification de la violence et des
contraintes. Pour Fourier, la Barbarie est
…un Ordre dans lequel chaque père devient un satrape,
qui érige toutes ses fantaisies en vertus, et qui exerce sur sa famille la
tyrannie la plus révoltante, à l’exemple d’Abraham et de Jacob, hommes aussi
vicieux, aussi injustes qu’on en ait jamais vus sur les trônes d’Alger et de
Tunis 13 .
Tandis que le Patriarcat est un système de tyrannie à petite
échelle, la Barbarie atteint son apogée avec l’institution de l’esclavage
généralisé. Étape la « plus malheureuse » de tout le système historique de
Fourier, elle n’en est pas moins nécessaire, car l’esclavage universel permet
la mise en place des premières grandes entreprises économiques, lesquelles à
leur tour sont indispensables à l’établissement du règne de l’Harmonie, et ne
peuvent véritablement s’épanouir qu’en Civilisation 14 .
Lorsqu’il évoque la Civilisation, Fourier souligne souvent les
liens qui l’unissent aux périodes précédentes. Il s’agit après tout de la
dernière des quatre périodes véritablement désastreuses de l’histoire humaine,
de ces « lymbes obscures » que caractérisent pauvreté, tromperie et répression
des instincts. A certains égards, elle est la pire de toutes, car les «
turpitudes, les hypocrisies de la civilisation, sa profonde perversité » y sont
« mieux masquées » et donc plus insidieuses. C’est un ordre aussi répressif que
celui de la Barbarie, mais « la civilisation ajoute l’astuce à la violence, qui
suffit aux barbares 15 ». Il est
cependant un domaine où la Civilisation innove :
[...] la civilisation occupe en échelle du mouvement un
rôle important, car c’est elle qui crée les ressorts nécessaires pour
s’acheminer à l’association ; elle crée la grande industrie, les hautes
sciences et les beaux-arts. On devrait faire usage de ces moyens pour s’élever
plus haut en échelle sociale 16 .
Fourier estime que les instincts naturels de l’homme ne peuvent
être satisfaits dans une société économiquement arriérée : le raffinement, le
luxe et l’élégance matérielle font partie des conditions nécessaires de son
utopie et la Civilisation a pour mission historique de les lui fournir.
Mais la société civilisée contient en germe sa propre ruine. En
guise de démonstration, Fourier dresse des tableaux où elle apparaît divisée en
quatre phases contenant chacune ses propres « germes », son « pivot », son «
contre-poids » et son « ton » ou série particulière d’illusions.
CARACTERES SUCCESSIFS DE LA CIVILISATION
Vibration ascendante
ENFANCE, OU 1re PHASE
Germe simple
Mariage exclusif ou monogamie
Germe composé
Féodalité patriarcale ou nobiliaire
PIVOT
Droits civils de l’épouse
Contre-poids
Grands vassaux fédérés
Ton
Illusions chevaleresques
ADOLESCENCE, OU 2e PHASE
Germe simple
Privilèges communaux
Germe composé
Culture des sciences et des arts
Selon Fourier, la France et l’Angleterre ont déjà atteint la
période de déclin de la troisième phase, et la Civilisation court à sa perte,
comme le montrent l’augmentation de la dette publique et la métamorphose de la
libre concurrence en ce système de monopoles économiques qu’il a baptisé «
féodalité industrielle ». Les philosophes du monde civilisé peuvent bien se
targuer de progrès. C’est un « progrès en déclin », qui ressemble
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