Fourier
mariage exclusif, ils
deviendraient en peu de temps Civilisés par cette seule innovation ; si nous
adoptions la réclusion et la vente des femmes, nous deviendrions en peu de
temps Barbares par cette seule innovation ; et si nous adoptions les garanties
amoureuses, telles qu’elles s’établissent en sixième période, nous trouverions
dans cette seule mesure une issue à la Civilisation et une entrée en sixième
période 7 .
Convaincu que « les progrès sociaux et changements de période
s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté », Fourier soutient,
dans l’un des premiers manuscrits conservés, qu’il aurait suffi aux
révolutionnaires français d’abolir l’institution du mariage pour voir
s’effondrer aussitôt tout l’édifice de la civilisation 8 .
Si ses écrits de jeunesse lui valent au début des années 1840
l’admiration des premières grandes théoriciennes du féminisme, le statut des
femmes, dans les exposés plus tardifs de sa doctrine, semble peu à peu perdre
au profit des relations économiques sa fonction de catalyseur des mutations
sociales. Peut-être Fourier cède-t-il en cela aux mêmes craintes qui le
retinrent de publier Le Nouveau Monde amoureux : celles ne pas trouver de
public, ni surtout de mécène s’il se présente trop ouvertement comme prophète
de la libération sexuelle. Il n’en reste pas moins que les exposés les plus
complets et les plus intéressants des différents stades historiques antérieurs
à la civilisation se trouvent dans ses premiers écrits et s’articulent autour
de « l’extension des privilèges des femmes » comme « principe général de tous
les progrès sociaux ».
Davantage que dans la Bible, Fourier puise la matière première
de son Edénisme dans les commentaires populaires sur les voyages à Tahiti de
Bougainville et Cook : ère de liberté amoureuse pour une population clairsemée,
d’hommes et de femmes beaux et robustes obéissant de plein gré aux ordres de
leurs passions, cette première phase historique est une période «
d’insouciance, délices, fêtes amoureuses, repas nombreux et fréquents chez des
peuples de grande vigueur 9 ».
Grâce à un concours de circonstances favorables (l’absence par exemple de bêtes
sauvages dans les régions tempérées), les premiers hommes ont établi d’instinct
une forme d’organisation sociale - les « séries confuses » - semblable à celle
de l’Harmonie. Mais cette première période fait long feu. En quelques siècles,
la liberté amoureuse disparaît et les séries confuses se dissolvent. Avec
l’émergence de la famille ou du « ménage incohérent », l’humanité est plongée
dans la Sauvagerie, première d’une série de cinq périodes de perfidie sociale 10 .
Cette évolution désastreuse s’explique selon Fourier par deux
facteurs : une rapide croissance démographique qui aurait eu raison de
l’abondance matérielle nécessaire au maintien des séries ; et la migration vers
les zones tempérées des animaux sauvages et des reptiles, qui aurait favorisé
l’apparition « d’inventions meurtrières » engendrant à leur tour chez les
hommes « le goût du pillage ». Dans ce contexte d’insécurité et de pauvreté
croissante, le système familial relègue bientôt au rang de souvenir la première
organisation sociale des « séries confuses », tandis que commencent à circuler
des fables sur un paradis terrestre à jamais perdu. Déformées depuis par des
prêtres pusillanimes et sans scrupules, elles n’en demeurent pas moins pour
l’homme civilisé les seules traces de la première période de vie sur terre 11 .
Durant la période de Sauvagerie, le mariage remplace l’amour
libre et les femmes tombent sous la coupe des hommes. Cette période conserve
cependant quelques avantages par rapport à la Civilisation : insouciants et
préservés des craintes qui taraudent l’homme civilisé, les hommes y sont libres
de chasser, pêcher et faire la cueillette où et quand ils le désirent. Fourier
est cependant loin de professer une admiration sans réserves pour le bon
sauvage, car le loisir et l’indolence relative dont il jouit sont au prix de la
servitude des femmes. D’autre part, « l’inertie » du sauvage est telle que, en
tant que système de production, la Sauvagerie peut être considérée comme le
stade le plus rudimentaire de l’histoire humaine.
Le passage de la Sauvagerie au troisième stade, le Patriarcat,
est marqué
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