Fourier
homme, il était gêné
par sa petite stature, sa grosse tête, sa physionomie nerveuse et sans grâce. «
Même à l’âge de vingt-cinq ans », écrit-il plus tard, « je n’avais rien pour
attirer l’attention des femmes 16 .
» Il était si raide, si engoncé, si timide que lorsque, peu après son retour à
Lyon, il se met en tête de prendre des leçons de danse, le spectacle qu’il
offre à ses amis est plutôt divertissant :
Occupé pendant le jour, il fut obligé de fixer sa leçon à
six heures du matin en plein hiver. Ces leçons de danse, qui durèrent trois
mois au moins, sont restées dans le souvenir de tous ceux qui ont connu
Fourier. Ils allaient s’éveiller les uns les autres bien avant le jour pour le
seul plaisir de voir leur camarade s’exercer à l’art de Terpsichore... Cette
maligne curiosité se comprendra facilement quand on saura que Fourier dansait
en culotte courte, en pantoufles et sans bas, avec un sérieux et une gravité
funèbre 17 .
Fourier avait beau être gauche et manquer des grâces qui font
l’homme du monde, ce sont, de toute évidence, des femmes qui, sur la fin de sa
vie à Lyon, sont ses plus proches amies. Dans ses relations avec elles, il fait
preuve d’une courtoisie, d’une gentillesse dont beaucoup se souviendront
longtemps. Presque toutes les lettres signées de femmes qu’on retrouve dans ses
papiers contiennent des remerciements pour ses « bontés », ses « preuves d’une
amitié véritable », son empressement « à faire plaisir aux dames ». Certaines
de ces lettres - par exemple l’une, émanant d’une jeune actrice qui étudie avec
Talma à Paris - montrent Fourier dans un rôle apparemment paternel. D’autres,
comme celles que lui écrit en 1808 son ancienne propriétaire, Pauline Guyonnet,
sont nettement plus ambiguës 18 .
Ce qui reste néanmoins obscur, c’est le rôle joué par l’intimité
physique dans les relations de Fourier avec les femmes. Fourier a connu,
semble-t-il, de nombreuses histoires d’amour. Beaucoup semblent n’avoir été que
des coups de cœur sans lendemain, ou des rencontres de caractère purement
sexuel - des « amours faciles », comme dit Jean-Baptiste Dumas. Mais Fourier
paraît également avoir fait sien le rôle d’amant philanthropique que, dans le
Nouveau Monde amoureux, il attribue à la « noblesse amoureuse », chargée
d’apporter la consolation à ceux qui ont eu des chagrins d’amour ou n’ont pas
vu reconnaître leur flamme. En 1818, dans une lettre à son neveu, il peut se
targuer, avec (dira-t-on) une légère affectation de cynisme, d’avoir encore «
une jolie clientèle » à Lyon : ses « liaisons avec des amis riches et répandus
» lui ont fourni, « par ricochet », des femmes plus qu’il ne lui en fallait, et
« des débris du festin », il a pu « [se] composer un joli assortiment 19 ». Fourier a-t-il eu des relations
physiques avec ces amoureuses déçues, venues vers lui « par ricochet » ?
C’est manifestement ce que Fourier veut insinuer, mais, en fait,
nous n’en savons rien. Certaines relations de la plus grande intensité que
Fourier eut avec des femmes sont restées d’une parfaite chasteté. Ainsi, parmi
les lettres particulièrement chaleureuses qu’il a reçues, on trouve celles
d’une certaine Mme Laporte, qui l’appelle « mon cher jambes de fer » et le
remercie pour les « illusions » que ses « paroles douces » ont fait naître chez
une « femme vieillissante ». « Chez vous, écrit-elle, le sentiment d’amitié a
toute la chaleur de l’amour. » Puis elle ajoute : « Il y a si peu d’hommes
disposés à être l’ami des femmes avec lesquelles ils ne font pas l’amour (pour
parler comme les Italiens) que je conçois une haute idée de vous, et de moi,
car il faut bien que le petit amour propre de la femme trouve l’occasion de se
placer quelque part. » Dans une autre lettre, Mme Laporte se montre d’ailleurs
moins enchantée de la réserve gardée par Fourier : elle le gronde de se
conformer à l’idéal ascétique des philosophes, « qui se possèdent assez pour ne
connaître l’amour que de nom, et qui conservent leur sang-froid au point de ne
rien éprouver 20 ».
Dans ses écrits, Fourier établit une nette distinction entre
amour physique et amour platonique, ou sentimental (l’amour « céladonique »,
comme il le nomme). Dans sa vie privée, il a, semble-t-il, eu un certain mal à
combiner relations physiques et intimité
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