Fourier
sentimentale ou intellectuelle*.
* On trouvera un exemple spécifique dans une lettre de
Fourier à son neveu Georges de Rubat, août 1818, AN 10AS 20 (2), p. 12. Fourier
écrit qu’il doit une importante découverte à une femme pour qui il avait formé
ce qu’il appelle une « céladonie » : « Je disais avoir pris un amour supérieur,
une céladonie, pour la femme à qui je dois le calcul puissanciel et j’eusse
rendez-vous pour aller coucher avec elle. Mais du moment qu’elle m’eût valu la
découverte que je poursuivais... depuis six ans, je ne pouvais supporter l’idée
d’en jouir et je repris sur une de ses amies. »
Peut-être est-ce la raison de sa vieille attirance pour les
lesbiennes. « J’avais trente cinq ans, écrit-il dans Le Nouveau Monde amoureux,
lorsqu’un hasard, une scène où je me trouvai acteur, me fit reconnaître que
j’avais le goût ou manie de saphienisme, amour des saphiennes et empressement
pour tout ce qui peut les favoriser 21 .
» Que signifiait pour Fourier « favoriser » ce genre de relations ? Sans doute
(on peut raisonnablement en avancer l’hypothèse), assister en observateur à des
scènes d’amour lesbien. Il y a toujours eu du voyeur en lui. Il a à la fois une
intense curiosité à l’égard du monde et une grande capacité à vivre par
personne interposée. Cette double impulsion, manifeste dans la manière dont il
ne cesse d’interroger ses amis et relations sur des questions de sexualité, a
pu trouver un autre mode d’expression dans ce « saphienisme » qu’il assure
avoir découvert en lui-même à l’âge de trente-cinq ans.
Si secret que fût Fourier sur sa vie privée, les archives
fournissent néanmoins quelques aperçus sur sa vie intime. L’image qui en
ressort n’est toutefois pas d’une totale clarté. Sur ce point, Emile Lehouck a
raison de critiquer le réductionnisme psychologique qui voudrait faire découler
toute la pensée de Fourier des frustrations sexuelles de son auteur 22 . Jeune homme, on l’a dit, Fourier n’était
pas le personnage solitaire et amer qu’il devait devenir plus tard. Par
ailleurs, si ses plus intenses relations avec les femmes ont été des relations
platoniques, rien ne prouve (comme Manuel et d’autres l’insinuent) qu’il ait
été impuissant. Au-delà de cette constatation, que peut-on dire sur la
sexualité de notre homme ? Le document le plus révélateur à cet égard est
peut-être Le Nouveau Monde amoureux, en particulier les passages qui traitent
des penchants érotiques de l’« omnigyne », individu doté (comme Fourier
lui-même) de douze passions dominantes.
Ces passages sont d’un intérêt particulier dans la mesure où
Fourier se présente comme le seul omnigyne qu’il ait jamais rencontré.
Il faut que les omnigynes soient très inconstants en amour.
La durée moyenne de l’illusion est bornée pour eux au huitième d’une année,
soit six semaines à dater de la possession. En revanche, ils sont constants en
amitié jusqu’à la perpétuité, et la femme qu’ils n’ont aimée d’amour que pendant
un mois ou deux les trouvera au bout de dix ans aussi fidèles amis qu’au
premier jour 23 .
Fourier aussi semble bien avoir été un amoureux inconstant et le
plus fidèle des amis.
III
Des générations d’érudits locaux se sont attachés à dresser le
tableau de la vie sociale et intellectuelle de Lyon sous l’Empire, avec le
souci de corriger l’image d’une ville « exclusivement mercantile » et de
montrer que le réveil régional auquel on assista dans les années 1830 et 1840
eut des antécédents dès cette période. Or, à la lecture de ces ouvrages, on est
frappé de ne quasiment jamais y voir apparaître le nom de Fourier 24 . Pas trace de lui non plus sur les listes
de membres de nombreuses sociétés savantes et associations fraternelles que
publie chaque année l' Almanach de Lyon : Fourier n’a jamais ni siégé à
l’Académie de Lyon, à la Société de l’agriculture, à la Société des amis du
commerce et des arts ou à la Société littéraire, ni été membre d’aucune loge
maçonnique, ni même, autant qu’on sache, d’aucun groupe littéraire et
gastronomique plus éphémère, telles la Société épicurienne, la Petite Table, ou
la Société des dîneurs. On y trouve pourtant un certain nombre de ses amis :
Jean-Baptiste Dumas, ou le docteur Aimé Martin aîné, homme de lettres et
responsable franc-maçon ; ou encore le chirurgien
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