Fourier
c’est-à-dire en
face de chez Fourier, qui loge au 74 de la même rue. Célibataire d’à peu près
le même âge que Fourier, ancien capitaine d’infanterie, franc-maçon, c’est un
libéral en politique et, comme Fourier lui-même, un ami et admirateur du
chirurgien républicain de Lyon, L.-V.-F. Amard. En 1807, Gaucel est établi à
son compte comme marchand de draps et il a, semble-t-il, fourni à Fourier un
certain nombre de commissions pendant la période où Fourier a travaillé comme
courtier indépendant. Fourier se plaignait souvent du philistinisme de ses
collègues du commerce, mais Gaucel est manifestement une exception. En 1808, il
aide Fourier à faire connaître la Théorie des quatre mouvements ; plus tard, ayant
déménagé à Lille, il restera en contact avec Fourier et continuera à lire ses
œuvres : il s’abonnera au premier journal fouriériste, le Phalanstère 12 .
Autre collègue avec qui Fourier restera en contact : Louis
Desarbres. A l’époque du Consulat, il est, comme Fourier, employé et voyageur
de commerce, mais à la fin de l’Empire, on le retrouve banquier prospère, avec
des bureaux dans l’élégante rue Saint-Clair. On ignore la nature exacte de ses
relations avec Fourier. On sait qu’il lui a de temps en temps servi de
banquier, mais il se peut aussi qu’il ait été un moment, sous l’Empire, son
employeur. A cette époque, Desarbres ne manifeste guère d’intérêt pour les
théories de Fourier, mais au début de la monarchie de Juillet, quand Desarbres
a accumulé une fortune de « deux ou trois millions », plusieurs disciples du
maître commencent à le regarder comme un mécène potentiel. Desarbres lui-même
se vante de son amitié avec Fourier. « M. Desarbres ne manque pas d’amour
propre », écrit Clarisse Vigoureux à Fourier en 1834.
« Quand il entend votre nom dans le monde, il ne manque
jamais de dire que vous êtes son meilleur ami et qu’il voudrait bien vous voir
et qu’il s’intéresse beaucoup à vous 13 . »
Plus proche encore de Fourier pendant ces années, Jean-Baptiste
Dumas. Ce chef de service à la préfecture de Lyon a eu très tôt des prétentions
littéraires. Elu à l’Académie de Lyon à vingt-quatre ans, il s’est rapidement
embarqué dans une longue et prolifique carrière d’auteur de poèmes et d’odes
pour les occasions et cérémonies officielles : il est le spécialiste de
l’Académie en matière d’oraisons funèbres. Actif également dans le journalisme
local, Dumas est en fait un des rares membres du monde intellectuel lyonnais
avec qui Fourier entretient des relations intimes. Ils ont dû faire
connaissance sous le Consulat : Fourier collabore alors à plusieurs journaux
dont Dumas est le rédacteur en chef. Pendant la Restauration, alors que Dumas
sert comme juge au tribunal de commerce, et comme membre du conseil
d’arrondissement de Lyon, ils restent en contact. Et à en juger d’après le ton
affectueux des lettres de Dumas, leur amitié survécut au départ de Fourier de
Lyon 14 .
II
Y avait-il des femmes dans la vie de Fourier à l’époque ? Si
profonde fut la solitude de ses dernières années qu’on en conclut parfois que
dès l’âge de trente ans il était déjà le reclus, amer et vaguement maniaque,
que ses disciplines connurent après 1830. Or l’image qui ressort des papiers
privés de Fourier comme des souvenirs de Jean-Baptiste Dumas est celle d’un
homme qui est tout sauf un reclus. Dans les archives Fourier, on trouve par
exemple le brouillon de poèmes que, vers 1803 ou 1804, il adresse à de jeunes
femmes rencontrées au théâtre. Parmi les plus travaillés, il y a, par exemple,
une épître à Mlle Justine dont les « piquants attraits, grâces et humeur badine
» ont inspiré à Fourier « des désirs secrets ». L’épître se termine par un
portrait de son auteur.
En habit gris, en habit noir,
Romaine ou ronde chevelure,
Chevalier de sombre figure,
Au théâtre il va chaque soir.
Il vous ferait son nom savoir,
Mais il craint que d’indifférence
Vous ne payiez la confidence
Du plaisir qu’il trouve à vous voir.
Fourier faisait la cour avec modestie, mais il compensait ce
trait par son obstination : ainsi, il adresse à une demoiselle Sandroc un
portrait à quelques nuances près pratiquement identique, précédé de cette
déclaration : « J’ai pour mainte jouvencelle rimaillé plus de cent fois 15 ».
Fourier était loin d’être bel homme. Jeune
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