Fourier

Fourier
ni de ce qu’il cherchait à faire. Insister sur la modernité de certaines de ses
idées, c’est rendre plus incompréhensibles encore celles que nous aurions
aujourd’hui tendance à considérer comme ineptes ou dépassées. A trop vouloir
s’adonner aux évaluations rétrospectives, on finit par perdre le sens de la
logique interne d’une pensée singulière.
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    Ce qu’entre autres j’ai essayé de faire dans ce livre, c’est de
présenter la pensée de Fourier de façon à en montrer la logique propre. En
d’autres termes, j’ai cherché à décrire la façon dont Fourier concevait ses
idées et la manière dont elles s’agencent à l’intérieur de ce qu’il considérait
comme un tout. Certes, il est impossible de pénétrer totalement l’esprit d’un
homme aussi original et peu conventionnel que Fourier. Mais c’était à sa
manière un penseur systématique. La vision de la société idéale qu’il avait
élaborée jusque dans les moindres détails se fondait sur une théorie presque
aussi exhaustive des motivations humaines (baptisée « théorie de l’attraction
passionnée »), et le tout reposait sur une plus vaste « théorie des destinées
», laquelle était censée tout expliquer, depuis la création du monde et
l’immortalité de l’âme jusqu’à la symbolique du chou-fleur et de l’artichaut
dans la sexualité humaine.
    Il semble que Fourier ait tracé les grandes lignes de son
système dès le début de sa carrière de penseur. A trente et un ans, lorsqu’il
essaya pour la première fois d’attirer l’attention sur ses idées, il pouvait
déjà se présenter comme l’« inventeur » du « calcul » des destinées. Pour
l’essentiel, il consacra le reste de sa vie à peaufiner les détails et à
calculer les conséquences de ce qu’il avait pris l’habitude d’appeler sa
découverte.
    J’ai cherché avant tout, dans ce livre, à donner une idée aussi
claire que possible de sa théorie, de la manière dont elle prit forme dans son
esprit, et à retracer sa quête infatigable d’un mécène susceptible de financer
la mise en place selon ses plans d’une communauté, ou Phalange. Dès le début,
j’ai conçu ce livre comme une biographie où les idées de Fourier seraient liées
à son expérience et replacées dans le contexte des différents mondes qu’il a
traversés. J’ai voulu, en mettant en rapport les rêves et la vie de cet homme
extraordinaire, essayer de présenter sa théorie de façon plus complète que les
commentateurs qui se préoccupent avant tout de la « modernité » de Fourier, ou
de l’impact de ses idées dans notre monde actuel. D’une part, je crois - à tort
ou à raison - que l’on ne peut véritablement comprendre une pensée détachée de
toute circonstance historique ou biographique. D’autre part, je récuse l’image
d’Epinal d’un Fourier inspiré mais fou, enfermé dans sa bulle. Des générations
entières d’universitaires l’ont traité comme un doux excentrique, un vieux
garçon maniaque dont la vie pourrait se résumer à quelques anecdotes bien
choisies. Et d’une telle conception il découle que l’utopie de Fourier,
incapable de s’enraciner dans une quelconque expérience du vécu, n’est que pure
fantaisie, mine de détails intéressants et d’idées « modernes » certes, mais
qui n’a en tant que système aucun rapport avec quoi que ce soit.
    Ces dernières décennies ont vu se former une nouvelle image de
Fourier. Le regain d’intérêt pour Fourier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
a stimulé la recherche biographique et l’étude de certains aspects de sa
pensée. Les travaux d’Emile Poulat, de Jean-Jacques Hémardinquer et de Pierre
Riberette ont apporté des lumières sur sa jeunesse tandis qu’un ouvrage d’Emile
Lehouck résume bien sa vie. De son côté, Simone Debout, l’une des plus grandes
spécialistes de Fourier à l’heure actuelle, appelle de ses vœux une recherche
qui établirait l’ancrage dans le réel de Fourier et de son utopie.
    Il importe donc de ne pas juger Fourier à part, mais de le
relier au monde qu’il affronte, aux conventions hypocrites et à la culture de
son temps, afin de comprendre précisément ce qu’il eut d’exceptionnel et de ce
que ses fidèles mêmes ont ignoré ou à peine pressenti 10 .
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    Il n’existait de Fourier aucune biographie critique en aucune
langue lorsque j’entrepris ce travail. Je compris