Fourier

vite pourquoi. Le plus gros
problème était celui de l’inégalité des sources : plus qu’abondantes pour
certaines parties de sa vie, elles étaient quasi inexistantes pour les autres.
A partir de 1816, date à laquelle Fourier entama une correspondance régulière
avec son disciple Just Muiron, sa vie nous est relativement bien connue. Mais
sur toute la Révolution française, période cruciale pour la formation de sa
pensée, nous ne disposons que d’une poignée de documents. Que Fourier ait passé
sa jeunesse comme employé subalterne chez un drapier de province ne me facilita
pas la tâche. Il faisait alors partie d’un monde étranger à celui que fréquentaient
la plupart des intellectuels de l’époque. Il me fallut donc passer beaucoup de
temps à m’assurer des faits, mais aussi à reconstituer les différents cadres de
vie de Fourier : celui d’un soldat en l’an III de la République, d’un commis
voyageur, d’un courtier sans brevet, d’un journaliste provincial sous Napoléon,
d’un agent de publicité à Paris durant la Restauration. J’ai essayé de
présenter ces différents milieux comme des entités à part entière avant d’y
assigner à Fourier sa place, tout comme je l’ai fait, autant que possible, pour
ses idées par rapport au contexte intellectuel de son temps dans les chapitres
théoriques.
    Je me suis essentiellement servi de trois sources différentes.
    Tout d’abord, aux Archives nationales, la masse imposante des
papiers de Fourier : on y trouve, entre autres, les brouillons de nombreux
ouvrages publiés et les cahiers manuscrits qui forment le gigantesque Grand
Traité , texte presque achevé d’un exposé théorique exhaustif auquel Fourier
travailla de 1816 à 1820 11 . A cela
s’ajoute une importante collection de lettres reçues par Fourier, ainsi qu’un
nombre non moins impressionnant de papiers en vrac (brouillons de lettres,
notes, griffonnages en tout genre) parfois rédigés dans le code secret que
Fourier s’était inventé pour décourager les curieux 12 . Dans les années 1840-1850, à l’époque où le « fouriérisme
» jouissait d’un certain prestige en tant que mouvement social, les disciples
de l’utopiste s’étaient fait fort de publier la plupart de ses manuscrits les
plus importants. Malheureusement, ces textes ne sont souvent que des versions
tronquées ou même censurées. Les disciples avaient pris l’habitude d’omettre ou
parfois de « revoir » les passages susceptibles, à leurs yeux, de provoquer le
scandale ou le ridicule. Quant aux cinq cahiers manuscrits qui décrivent
l’utopie sexuelle de Fourier, ils n’en publièrent que quelques lignes : Le
Nouveau Monde amoureux ne devait paraître qu’en 1967 13 !
    Malgré leur valeur inégale, les manuscrits de Fourier restent
une source primordiale. Les notes, les brouillons et la correspondance
fourmillent de détails sur ses dernières années. Les brouillons de lettres
griffonnés à la hâte ont même servi de base à tout le chapitre VI, qui sans
cela n’aurait pu voir le jour. Les fascinants cahiers du Grand Traité donnent enfin une idée de la véritable dimension de la théorie fouriériste,
tout en apportant une multitude de réponses aux questions de détail. En
revanche, aucun de ces textes ne m’a beaucoup servi pour la biographie
proprement dite. Dans ses manuscrits comme dans ses ouvrages publiés, Fourier
ne fait guère allusion à sa propre personne ; et ses quelques commentaires,
quand ils ne sont pas sibyllins, sont souvent dénués d’intérêt. Il existe bien
sûr toute une série de fragments autobiographiques où Fourier parle en tant
qu’« inventeur » de la théorie de l’attraction passionnée 14 , décrit les différentes étapes de sa
recherche, relate les déboires de l’inventeur face à un monde hostile, et
énonce les « devoirs des critiques envers les inventeurs illettrés ». Ce qui
frappe avant tout dans ces écrits, c’est le caractère conventionnel et
stéréotypé de la persona que se crée Fourier. Son autoportrait en «
inventeur calomnié » a certes de quoi nous serrer le cœur, mais il ne nous
renseigne guère sur la vie intérieure ou le cheminement intellectuel de son
auteur.
    L’ensemble des œuvres publiées de Fourier constitue la seconde
source de cette biographie. Il comprend trois exposés majeurs de la doctrine,
divers écrits polémiques, des « annonces » destinées à attirer l’attention sur
les œuvres