Fourier
titre moins austère. Il a cependant accepté «
de faire insérer dans les journaux le plus tôt possible l’analyse de l’ouvrage
telle que vous l’avez faite, à quelques modifications près 24 », Enfin, Fourier a trouvé un allié sur
qui compter. Une fois de plus, il monte au créneau : il expédie sur-le-champ
105 exemplaires supplémentaires à Brunot-Labbe. De son côté, le libraire fait
tout son possible et distribue des exemplaires aux rédactions de dix journaux
parisiens 25 . Fourier n’a plus qu’à
attendre le verdict.
Si, en ouvrant les Quatre Mouvements sur « les aperçus incroyables
» de la « Première partie », Fourier (comme il le prétendit plus tard) avait eu
pour objectif de « lancer les railleurs », le moins qu’on puisse dire, c’est
qu’il fut servi. Les prophéties contenues dans cette section (le discours sur
les dix-huit créations, les mers de citronnade) constituent en effet le trésor
d’« extravagances » où les critiques de Fourier allaient puiser à qui mieux
mieux pendant les quarante ans à venir. Dans les années 1830, Balzac devait
d’ailleurs expliquer le procédé devenu rituel avec, dans la Monographie de la
presse parisienne, son portrait du « blagueur, la deuxième variété du petit
journaliste parisien », qui parvient à gagner dix francs par jour en régalant
semaine après semaine ses lecteurs avec des absurdités tirées des Quatre
Mouvements 26 . La première
incarnation historique de ce blagueur ne fut autre que le premier journaliste à
faire la critique du livre de Fourier. Le 30 novembre 1808, le feuilleton
littéraire du Journal du commerce s’ouvre sur une longue parodie.
Je me suis glissé furtivement dans le boudoir des destinées
universelles, et j’ai vu ces dames sans voile, comme Vénus sortant du sein des
mers. J’ai surpris le calcul analytique et synthétique des attractions et
répulsions passionnées. J’ai découvert la théorie des quatre mouvements. Nouveau
Micromégas, j’ai voyagé dans Sirius, vogué dans le signe de la Vierge, toisé
Jupiter, dérobé l’anneau de Saturne, parcouru les lactées et pris la lune par
les cornes.
Tout ce galimatias, ajoutait le journaliste, était manifestement
l’œuvre d’un dérangé mental :
Si nous vivions dans le temps des enchanteurs, nous
prierions Astolfe, ce paladin courtois, de rendre au malade le service qu’il
rendait au fameux Roland. Mais si nous n’avons plus ni nécromans ni paladins,
ni cheval ailé, heureusement il nous reste des docteurs, des pharmacopoles qui
savent ordonner et administrer les remèdes propres à rétablir les organes du
cerveau. Nous croyons avoir aperçu de grands dérangements dans ceux de M.
Charles.
Le diagnostic sur la maladie dont souffre le patient ?
Irritation des nerfs et « échauffement du sang », indubitablement dus à ses
vains efforts pour résoudre le problème du bonheur humain. Certes, note le
critique, les « accès » de Fourier sont parfois interrompus par « des raisonnements
si bien faits, si bien suivis, que nous avons cru un moment qu’il avait
recouvré l’usage de sa raison ». Mais comme il y avait « encore six accès » à
venir, mieux valait appeler illico la faculté de médecine à sa rescousse 27 .
Le lendemain, 1er décembre, le premier de quatre longs
feuilletons consacrés aux Quatre Mouvements paraît dans le journal
catholique la Gazette de France 28 .
Il est douteux que leur auteur ait pris la peine de lire le livre d’un bout à
l’autre. Après l’avoir caractérisé, en termes aussi ambigus que prometteurs,
comme « un livre comme on n’en a jamais vu, un livre aussi extraordinaire dans
sa conception que dans son exécution », il parvient à amuser ses lecteurs
pendant quinze jours avec des paraphrases des passages les plus bizarres du
texte, entrelardés de commentaires ironiques. « Beaucoup de personnes vont sans
doute croire que ce livre a été composé à Charenton », conclut-il. Pas du tout.
« On s’adressera directement à M. Charles, à Lyon. Il ne donne ni le nom de la rue,
ni le numéro de la maison qu’il habite ; mais on écrivait bien à Voltaire, en
Europe; on peut bien écrire à M. Charles, à Lyon 29 . »
A la mi-janvier 1809, Brunot-Labbé, le libraire parisien, écrit
à Fourier pour lui faire le point sur les ventes. Il regrette que la parution
des critiques ne les ait guère aidées. Après avoir distribué seize exemplaires
gratis, il en a vendu exactement neuf.
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