Fourier
Peut-être la faute en incombe-t-elle au
titre. La Théorie des quatre mouvements semble à première vue le titre d’un «
livre de mathématique » plutôt que l’introduction à « un système d’imagination
extraordinaire ».
Je désirerais en donner davantage, mais lorsque les
trompettes ne veulent sonner, il est difficile de le faire connaître. Ce n’est
donc qu’avec le temps que l’on y parviendra en faisant d’autres volumes, car
un, de prospectus, qu’il faut acheter, ne peut avoir beaucoup de débit. Vous
vous y attendiez sûrement 30 .
L’amabilité des paroles du libraire ne pouvait pas suffire à
adoucir le coup porté. Le prospectus était un échec, et Fourier ne s’y
attendait nullement. Il avait tout naturellement pris ses précautions à l’égard
des plagiaires ; il avait endossé l’habit d’Arlequin pour sonder les
profondeurs de préjugés auxquels les volumes à venir se heurteraient; mais il
avait supposé que cette « bizarrerie étudiée » ne ferait que mieux piquer la
curiosité du lecteur. « Il était fort indifférent que mon prospectus manquât de
méthode », écrivit-il plus tard, « puisqu’on y voyait des indices péremptoires
d’une grande découverte. Ce prospectus se recommandait par sa bizarrerie même 31 ».
III
Pendant des années, Fourier va être hanté par la manière dont
les « Parisiens » ont rejeté son prospectus 32 .
« Absorbé par des fonctions mercantiles qui ne [laissent] aucune marge aux
études », il n’a ni le temps ni l’inclination de s’attaquer aux problèmes qu’il
avait promis de traiter dans ses mémoires à venir. Jusqu’à la fin 1814, il
cesse pratiquement d’écrire. De temps en temps, il se met à la rédaction d’un «
second prospectus », mais rien ne paraît. De ces efforts avortés, il ne reste
que des manuscrits : une série de prologues et introductions où Fourier dresse
le catalogue de la « kyrielle de brocarts » dont il a été la cible en 1808,
débrouille « l’énigme des quatre mouvements », s’en prend avec véhémence à
l’esprit de sarcasme et de raillerie qui règne en France et appelle de ses vœux
la création d’une « police d’invention » qui protégerait les droits des «
inventeurs illettrés » comme lui-même.
Il commence à se dire que le fiasco de son ouvrage est l’effet
d’une cabale montée par les beaux esprits de Paris. Ils exercent un « monopole
littéraire » dont le dominion s’étend dans tout l’Empire. Craignent-ils de voir
leur position menacée par un « inventeur », un écrivain dont le propos est
nouveau ? Ils s’empressent de le réduire au silence. Telle avait déjà été leur
tactique en 1803, lorsque l’ordre était venu de Paris interdisant désormais à
Fourier d’écrire dans les journaux de Lyon. Un simple signal ne suffit-il pas à
bâillonner l’inventeur ? Ils font alors appel à leurs acolytes, les
journalistes, pour le noyer dans des torrents de détraction et d’injure. Telle
est la manière dont ils ont agi pour les Quatre Mouvements. « La cabale
philosophique dont je battais en brèche tous les systèmes dut enjoindre à ses
trompettes des cris du “ fou ” au “ maniaque ”. Ainsi les journaux
philosophiques voulaient-ils m’envoyer des médecins, des apothicaires pour me
rendre à la raison. 33 »
Les Parisiens ont eu peur de discuter les arguments avancés
contre la civilisation par Fourier. Leur arsenal critique s’est limité à de
pauvres accusations de folie usées jusqu’à la corde. Pourtant, jusque dans ces
railleries, Fourier détecte des signes de trouble. Aussitôt après l’avoir
traité de fou, un journaliste n’a-t-il pas évoqué ses raisonnements « si bien
faits, si bien suivis » ? Cette simple ligne de louange, accordée par un
critique anonyme dans le Journal du commerce, est citée à plusieurs reprises
dans les manuscrits de Fourier. Il y voit un « aveu » qu’il est parvenu à
arracher aux philosophes. « Ne craignent-ils pas de s’accuser eux-mêmes par ces
contradictions, et de déceler leur secret, leur ligue pour écraser quiconque
refuse le tribut d’encens au minotaure scientifique, aux bibliothèques philosophiques
? »
Et Fourier de les tancer pour leur timidité.
Loin de capituler devant cette armée de cinq cent mille
volumes, j’annonce sa ruine entière, le prochain écroulement de toutes les
galeries de tomes. Une telle audace déconcerte la cabale, elle hésite sur les
moyens de
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