Fourier
stupidité de ses
contemporains à une telle extrémité, il pourrait même décider d’attendre,
purement et simplement, le jour où ils auraient été « matés à force de torture 41 ».
Ces fantasmes de revanche finale s’expriment pour la plupart
dans des esquisses et brouillons écrits par Fourier en guise d’introduction à
un « second prospectus » qui ne vit jamais le jour. Une seule fois, pendant les
six dernières années de l’Empire, on le voit exprimer publiquement ses griefs
contre sa génération et les réflexions que lui inspirent l’échec des Quatre
Mouvements. L’occasion lui en est donnée par une lettre publiée dans le Journal
de Lyon, le 19 octobre 1811, sous le pseudonyme de « Philoharmonicos ».
L’auteur en est sans doute Aimé Martin aîné, éminent chirurgien lyonnais,
figure du monde littéraire et franc-maçon, que Fourier connaissait sans doute
depuis l’époque où tous deux collaboraient au Bulletin de Lyon *.
* Membre éminent de l’Académie de Lyon, Aimé Martin présida
sous l’Empire la Parfaite Harmonie, loge maçonnique lyonnaise, et fut membre
actif de divers petits cénacles littéraires comme la Petite Table et la Société
des Dîneurs. Dans une « liste des électeurs influents » dressée par le
gouvernement en 1811, il est décrit comme « un des médecins distingués de Lyon
» : « Bonne moralité, attaché au gouvernement, élocution très facile, fort instruit
et très désintéressé. » AN F7 4352A, cité dans Lehouck, Vie de Fourier, 134.
Bien que Fourier ait eu plusieurs francs-maçons lyonnais parmi ses
connaissances, il se peut que le chapitre « Première démonstration de la
Franc-Maçonnerie et de ses propriétés encore inconnues » des Quatre Mouvements
(OC I, 195-202) lui ait été en particulier inspiré par ses conversations avec
Martin.
Parlant dans un article des débats suscités par la grande comète
de 1811, Martin ajoutait :
Je suis vraiment étonné, et je ne suis pas le seul, que
l’auteur de la Théorie des quatre mouvements n’ait pas saisi cette occasion de
rappeler le souvenir des vues neuves et des conceptions hardies dont son
prospectus est semé. Peut-être est-il dans le cas du « bonus aliquando dormitat
Homerus ». Puisse cette leçon le tirer de sa léthargie 42 !
La réponse paraît dans le Journal quinze jours plus tard.
Fourier y observe que, certes, il est plus qualifié que quiconque pour fournir
à ses contemporains « des notions bien neuves, bien rassurantes et surtout bien
surprenantes » concernant la comète et bien d’autres mystères astronomiques. «
Mais pourquoi dévoilerai-je ces mystères ? » demande-t-il. Il est un « novateur
» et ses théories contrediraient celles de la toute-puissante cabale philosophique.
Il y a peu de chance pour que le public soit intéressé. Mieux vaudrait
s’adresser à l’un des « génies transcendants » qu’on trouve à Paris, comme
monsieur Azaïs, par exemple, qui deux ans plus tôt dans une conférence à
l’Athénée a entrepris de « dévoiler » l’univers tout entier**.
** Fourier fait allusion ici au Discours prononcé à
l’Athénée le 15 mars 1809 sur la vérité universelle (Paris, 1809) par Hyacinthe
Azaïs. Azaïs (1766-1845) fut parmi les plus prolifiques ainsi que, à l’époque,
les plus populaires des visionnaires monistes mineurs du début du XIXe siècle.
Vers 1800, il avait élaboré une théorie « newtonienne » relativement simpliste
d’« explication universelle » qu’il ne cessa ensuite d’exposer et de remanier
pendant quarante ans dans plus de deux douzaines de traités. Fourier a
commencé, semble-t-il, à s’intéresser à ce personnage en 1806 ou 1807,
lorsqu’il travaillait à la cosmogonie complexe qui allait entrer dans la
première partie de la Théorie des quatre mouvements. Un cahier manuscrit
portant l’étiquette « Cosmologie, Physique, etc. » (AN 10AS 24 (2) 100) contient
de longs extraits de plusieurs des premières brochures d’Azaïs et de critiques
parues sur son Essai sur le monde (1806) ainsi que des passages concernant la
théorie des « émanations stellaires » d’Azaïs et sa promesse « séduisante » (le
mot est de Fourier) « d’expliquer par un seul fait, simple en apparence,
l’universalité des phénomènes physiques et chimiques ».
A partir de 1808, toutefois, Fourier semble regarder Azaïs
plutôt comme un « maraudeur sur [son] domaine » et son discours de l’Athénée
est sans
Weitere Kostenlose Bücher