Fourier
c’est virtuellement la même
réponse. Les ballots contenant le traité qui devait renverser la civilisation
se promènent à travers l’Europe pendant tout l’été. Puis, un par un, ils
viennent dormir de leur dernier sommeil dans quelque sous-sol de libraire.
Les Quatre Mouvements auraient-ils reçu ne serait-ce qu’un petit
succès d’estime auprès de la critique parisienne, cela eût compensé son échec à
l’étranger. On a expliqué à Fourier que la clef du succès est de s’assurer
l’appui d’une revue parisienne influente. Un choix s’impose : avec un tirage
dépassant les vingt mille exemplaires, le Journal de l’Empire est le journal le
plus lu en France. C’est le bastion du brillant feuilletoniste Geoffroy. Un mot
de sa plume, même un éreintage, suffirait à faire remarquer l’ouvrage. Il se
trouve par chance que Fourier a à Paris un vieil ami, Henri Brun, qui connaît
Lenormant, l’éditeur du Journal de l'Empire.
L’affaire était trop importante pour être confiée à la poste. A
la fin d’avril 1808, Fourier remet à un ami qui se rend dans la capitale,
Jean-Baptiste Gaucel, une lettre pour Brun ainsi que plusieurs exemplaires des
Quatre Mouvements. Afin de mettre toutes les chances de son côté, il rédige
également une critique « impartiale » du livre : la rédaction pourra la publier
sans signature au cas où Geoffroy n’accepterait pas de faire lui-même l’article 19 . Brun répond par retour du
courrier : Lenormant accepte de signaler le livre dans le Journal de l'Empire ;
il s’occupera également d’un ballot de quarante exemplaires à vendre ou à
distribuer gratis aux rédacteurs d’autres journaux parisiens de premier plan. «
Pour moi, écrit Brun, je pense qu’en le faisant annoncer par le Journal de
l'Empire, cela sera suffisant, attendu qu’il est plus répandu qu’aucun autre et
qu’il n’existe pas une seule bourgade en France qui ne le reçoit. » Il n’a,
dit-il, eu le temps que de feuilleter rapidement le livre. Mais il a été
impressionné par l’esprit et la vigueur du style. « Il n’y a pas de doute que
vous n’obteniez nombre suffisant de souscripteurs pour voir paraître ce que
vous annoncez ; d’ailleurs, ne serait-ce que la curiosité qui domine la presque
totalité des civilisés, vous devez être assuré de succès complet. » Dans un
post-scriptum, Brun observe « avec plaisir que les femmes trouvent un appui
dans votre ouvrage. Aussi dit-on que toutes les dames de Lyon en raffolent. Il
doit en être de même des cocus de toute classe, dont Lyon n’est pas dépourvu 20 ».
Les dames de Lyon raffolent peut-être des Quatre Mouvements, mais
leurs époux semblent pour la plupart avoir ignoré jusqu’à l’existence du livre.
Aucune critique dans les revues locales, aucune mention dans les annales
d’aucune des nombreuses sociétés savantes que compte Lyon, pas plus que dans
les acquisitions de la bibliothèque 21 .
A Paris, la situation n’est guère plus encourageante. Vers la fin mai, une «
annonce » de quatre lignes pour les Quatre Mouvements paraît dans le Journal de
l’Empire et, quelques jours plus tard, Lenormant écrit à Fourier qu’un article
d’analyse doit paraître incessamment 22 .
Dans les semaines qui suivent, Fourier attend, en vain. L’été s’avance ; il
commence à s’enquérir ; finalement, en septembre, Brun lui écrit que Lenormant,
« qui joint à une négligence inouïe une indifférence pour tout ce qui ne lui
paraît pas lucratif », a purement et simplement oublié la Théorie des quatre
mouvements. De ses quarante exemplaires, il en avait vendu six, gardé deux et
n’en avait distribué aucun aux autres journaux de Paris. Il n’y avait rien d’autre
à espérer des « cajots du Journal de l’Empire » 23 *.
* Pour Fourier, le véritable « cajot » n’était pas
Lenormant, mais Geoffroy : « Le fameux Geoffroy justifia bien le caractère
qu’on lui attribuait. Il commença par annoncer le titre, promettant une analyse
et semblant me dire, “ Si l’eau ne vient pas au moulin, le moulin ne tournera
pas ” », AN 10AS 14 (49), p. 9.
Cinq mois, donc, de gaspillés. Il reste toutefois à Fourier
quelques motifs d’optimisme. Brun, en effet, est parvenu à récupérer les volumes
auprès de Lenormant ; ils se trouvent maintenant dans les mains d’un libraire
plus fiable, Claude Brunot-Labbe. Ce « brave homme », écrit Brun, pense que le
livre pourrait tirer profit d’un
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