Fourier

énigme qui s’expliquera plus tard, il
serait à souhaiter que vous en donniez de suite l’explication, afin de donner
plus de cour à votre ouvrage. » Ceci est une réponse à une lettre écrite par
Fourier le 18 novembre 1808 - avant le désastreux accueil réservé à l’ouvrage
par les critiques parisiens.
    La structure du texte, effectivement « cousu » d’articles et
d’essais d’une grande diversité de tonalités, corrobore cette hypothèse. Il y a
par ailleurs un élément d’obscurité voulue, non seulement dans ce que Fourier
choisit pour le moment de taire, mais dans ce qu’il choisit d’exposer. Lorsque
certains de ses amis (racontera-t-il plus tard) lurent sur épreuves le «
Discours préliminaire » et le trouvèrent « sagement écrit », il s’empressa d’y
ajouter une introduction, écrite elle sur le mode le plus « visionnaire 11 ».
    En conclure que l’énigme fut effectivement concertée avec toute
la préméditation rusée que Fourier s’attribue rétrospectivement est peut-être
aller trop loin. Comme il le reconnaît lui-même : « J’ai l’esprit naturellement
bizarre et impatient des méthodes. Il me convenait donc de spéculer sur
l’emploi de mes moyens naturels 12 ».

II
    Énigme ou pas, il est hors de doute que Fourier espérait voir
son ouvrage toucher le grand public. Lorsque l’ouvrage sort des presses, au
début d’avril 1808, il s’emploie aussitôt à lui assurer une large distribution
et à organiser une « fanfare » pour en saluer la parution. Il en fait expédier
douze cartons, soit six cents exemplaires en tout, à des agents à Francfort,
Leipzig, Milan, Hambourg, Amsterdam, Genève, Bâle et Bruxelles 13 . Il envoie des exemplaires à des
célébrités comme Mme de Staël, des aristocrates comme Louis de Bauffremont 14 , ou des amis influents comme son ancien
condisciple Jean-Jacques Ordinaire, devenu entre-temps un éducateur célèbre*.
Retenu lui-même à Lyon, il convainc amis et associés à Paris et à l’étranger de
l’aider à faire au livre la plus large publicité.
    * Lors d’une visite à Besançon « un ou deux ans plus tard
», Fourier trouva son vieil ami « plus disposé à rire de quelques détails de
l’ouvrage qu’à en juger sérieusement le fond et l’ensemble ».
    Début mai, les réponses commencent à arriver. D’abord
d’Amsterdam, où ses agents l’informent que le libraire Dufour accepte de
s’occuper des Quatre Mouvements, mais pas à ses propres risques : Fourier devra
payer d’avance tous les frais. De Bâle, un ami écrit qu’il veillera à la
distribution du livre 15 . Réponse
moins encourageante en provenance de Genève. Conformément à ses instructions,
Manget et Cherbuliez ont adressé un exemplaire au rédacteur de la Bibliothèque
britannique, Maurice. Celui-ci, disent-ils, le « remercie du cadeau, mais
refuse de parler du livre ». Or, ajoutent-ils, « la vente sera nulle, tant que
les journaux n’auront pas fait bruit du livre ». Quant à Mme de Staël, elle ne
se trouve « pas présentement à Coppet 16 ». Un peu plus tard, toutefois, Fourier devait recevoir un mot d’elle, un
accusé de réception pour « la lettre que vous m’avez adressée pour me charger
de faire annoncer votre ouvrage ». Hélas, l’informe-t-elle, « je ne l’ai pas
trouvé ici à mon retour, et je suis vraiment fâchée de n’avoir point eu
l’occasion de vous être utile ni agréable 17 ».
    Fourier avait toujours considéré les « gens du Nord » comme
particulièrement bien disposés à l’égard des idées nouvelles. Il a dû, à n’en
pas douter, placer de grandes espérances dans le ballot expédié à Schramm,
Therstens & Cie à Hambourg. La réponse arrive au milieu de l’été : les
communications avec la Suède et le Danemark sont interrompues; toute la région
est si dévastée par la guerre qu’il n’y a pas de marché pour les livres,
d’aucune sorte ; les ventes à Hambourg même « ne seront sûrement pas au-delà de
cinq exemplaires ». La situation n’est guère plus brillante à Leipzig : on n’y
vendit pas un seul exemplaire et le carton de Fourier restera des années dans
un entrepôt, sans être même ouvert. La Belgique ne manifeste pas plus
d’intérêt. Le 25 août, les agents que Fourier a sur place lui écrivent qu’ils
n’ont « pu bien comprendre » sa lettre, mais en tout état de cause ils ne
trouvent personne à Bruxelles pour se charger de son livre 18 . Partout,