Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
dit :
— Allez poser quelques questions au chapitre, mais restez discrets. Que personne à part frère Guillaume ne sache la raison de votre venue.
Ils le saluèrent et prirent congé. Je les regardai descendre rapidement la nef, puis sortir dans la lumière éclatante de ce début de matinée, avant de me retourner vers César.
— Je te remercie.
Il haussa les épaules comme si c’était sans importance, mais le regard qu’il me lança suggérait autre chose : comme son père, César ne faisait jamais rien sans rien.
— Bien, dit-il, si tu es capable de te concentrer à présent, mes hommes ont trouvé une demi-douzaine d’autres portes dérobées dans la basilique. On dirait bien que les lieux en regorgent. Mais toujours aucun signe de Morozzi.
— Peut-être qu’il n’est pas ici.
Ma plus grande crainte était de m’être trompée concernant les intentions du prêtre fou. Torquemada et lui avaient peut-être un plan totalement différent, qui m’avait échappé.
Ma seconde plus grande crainte était de ne pas m’être trompée.
Si j’étais Morozzi…
À peine cette pensée me traversa-t-elle l’esprit que je dus résister à l’envie de l’écarter. La basilique était immense, sans compter les bâtiments adjacents. Si nous voulions avoir un quelconque espoir de retrouver le prêtre avant qu’il ne frappe à nouveau, je devais m’armer de courage et faire appel à ma raison pour démasquer son plan.
En supposant, bien entendu, que la raison puisse fonctionner lorsqu’il y a folie. Mais je laisse ce problème aux philosophes. J’avais pour ma part des préoccupations bien plus concrètes.
— Nous ne devons pas commettre l’erreur de le sous-estimer une nouvelle fois, repris-je. C’est un malin, il est téméraire et il frappe là où on ne l’attend pas.
— Tu penses à Giulia, fit César d’un air sombre.
Je hochai la tête.
— Tout ce qui intéresse Morozzi, c’est la destruction du peuple juif. Sur ce plan-là, il est largement aussi fanatique que Torquemada. Et il n’a aucune conscience ou moralité pour le freiner. Nous devons partir du principe qu’il est capable d’absolument tout pour parvenir à ses fins.
— Il avait un véritable allié en Innocent. Mon père pense que si le pape n’était pas mort rapidement, il aurait signé l’édit. Cet échec a dû avoir sur lui l’effet d’un aiguillon qui le pousse d’autant plus à agir maintenant.
— Tu as raison, assurément, répondis-je. Mais Morozzi a refusé de voir la mort d’Innocent comme une défaite. Il est revenu tout de suite à la charge avec un plan garantissant en cas de réussite que le seul homme à sa connaissance refusant de signer l’édit passe à côté de la papauté.
— En semant la discorde entre mon père et la famille Orsini, dont il a besoin comme appui s’il veut avoir une chance de l’emporter.
— Exactement. Si Morozzi était parvenu à le retourner contre eux, en toute probabilité l’élection de della Rovere aurait été assurée ou, tout au moins, celle de quelqu’un disposé à signer ce fameux édit.
— Mais son plan a échoué, fit observer César.
— Certes, mais c’est précisément cet échec qui m’a empêchée de me rendre compte tout de suite que pour agir comme il l’a fait, Morozzi devait forcément avoir connaissance de certains éléments en amont.
J’étais en train de réfléchir à voix haute, à vrai dire, mais au moins je réfléchissais enfin, et voyais ce que le choc et l’épuisement m’avaient dissimulé jusqu’alors.
— Il était au courant des lettres entre Giulia et son mari, poursuivis-je. Il connaissait même son amour pour les figues. Je crois qu’il avait planifié depuis tout ce temps-là ce qu’il ferait au cas où Innocent mourrait avant et que ton père deviendrait papabile.
César hocha la tête lentement. Je voyais bien que même si je tâtonnais, ce que je disais avait du sens pour lui.
— Et voilà qu’il s’est ressaisi, continua-t-il. Cette fois-ci, il projette de soulever la populace contre les juifs.
— Et on peut être sûrs qu’une fois encore, cela fait bien longtemps qu’il sait précisément comment il va procéder, répliquai-je. C’est pour cela que Torquemada est ici, pour être présent au moment où le « crime » sera révélé et pouvoir ainsi proclamer devant tout le monde que les juifs en sont responsables. De fait, aucun cardinal réputé pour sa tolérance vis-à-vis d’eux ne
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