Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
Francesca ? Au bout du compte, César a bon cœur.
Si par là elle voulait dire un cœur qui battait puissamment et sur lequel son propriétaire pouvait compter, elle avait à l’évidence raison. Mais cela mis à part…
— Je suis sûre que c’est le meilleur des frères.
— Tu as raison, mais j’ai également entendu dire qu’il était très bon amant. N’est-ce pas vrai tout autant ?
Ces propos vous choquent-ils ? Peut-être êtes-vous en train de brûler les étapes en songeant aux infâmes rumeurs concernant Lucrèce et César et dont ils ne purent se défaire par la suite ? Des rumeurs qui, permettez-moi de vous le dire ici et maintenant, étaient totalement infondées.
— Comment saurais-je…
Ces protestations parurent bien faibles, même à moi, ce qui était inévitable puisqu’elles ne reflétaient pas la réalité. Supposons par exemple qu’à la suite de ma première rencontre avec César, après qu’il eut reculé devant la mention de mon statut de fille de l’empoisonneur, il m’ait trouvée digne d’intérêt. Cela témoigne bien plus d’un amour du défi chez lui que de mes charmes, assurément.
Supposons ensuite qu’une nuit, peu de temps après que j’eus décliné la demande en mariage de Rocco, alors que je me sentais encore profondément meurtrie, César m’ait trouvée par hasard dans la bibliothèque. J’étais en train de relire mon cher Dante, qui sera ma ruine. Vous pouvez en déduire, si cela vous sied, que je cherchais à calmer mon état de fébrilité par un passe-temps intellectuel familier. Mon père était au-dessus, dans notre appartement. Le Cardinal était absent, en visite chez La Bella. La maison était parfaitement calme.
César était censé être à Pise, où on le croyait en train de jauger son camarade d’études, l’héritier des Médicis, tout en s’illustrant par son érudition. Tous s’accordaient à dire qu’il avait accompli les deux, étant souple d’esprit et doué de la langue. Très doué, même.
Il était venu discrètement à Rome pour quelques jours dans l’idée de convaincre son père de changer les projets qu’il avait pour lui. Ne riez pas, ou si vous ne pouvez vous en empêcher, ne riez pas trop fort, mais Borgia destinait vraiment son fils aîné à l’Église. César n’avait pas encore fêté ses sept ans que son père avait réussi à le faire nommer protonotaire apostolique du pape. Je n’ai aucune idée des tâches qui incombent aux récipiendaires d’une charge aussi auguste, et d’ailleurs César non plus, j’en suis sûre. Car peu après, il avait acquis les droits de l’évêché de Valence et dans le même temps était devenu recteur et archidiacre. Dans les années qui avaient suivi, il avait acquis l’évêché de Pampelune et les généreuses recettes qui allaient de pair. Le fait qu’il ne fût pas encore entré dans les ordres n’était qu’un simple détail, facile à omettre.
Mais son père avait bien l’intention de l’y faire entrer, pourtant, afin qu’il devienne prince de la sainte Église en temps voulu, puis continue sur ses traces en accédant à la papauté. Peu importait au Cardinal que César envisageât son avenir d’une tout autre manière.
C’est ainsi qu’il était venu à Rome pour plaider en faveur de la carrière militaire qu’il appelait de ses vœux, mais d’après ce qu’il se disait en cuisine, père et fils s’étaient disputés. Il était parti en trombe Dieu savait où, en était revenu singulièrement peu sobre, et s’était retrouvé par hasard devant la bibliothèque.
Où je me trouvais. Il vous faut m’imaginer comment j’étais alors, une virgo intacta bien à l’abri dans ma tour d’albâtre, où j’étais déterminée (bien qu’à regret) à rester. Et imaginez-le, ce jeune homme sauvage et ténébreux, sentant le vin et le cuir, faisant entrer le souffle du vaste monde dans mon sanctuaire de vierge.
Que devrais-je vous dire ? Tout ? Comment il s’est approché de moi, un sourire dansant dans ses yeux fous ? Comment j’ai songé à m’enfuir, mais pour une raison mystérieuse n’ai même pas réussi à me lever de ma chaise ? Comment il s’est agenouillé devant moi, ses mains chaudes et puissantes soulevant mes jupes, caressant ma peau, trouvant la chaleur enfouie en moi…
Comment je suis morte, là, dans ses bras.
Comment il m’a souri et m’a dit que j’étais belle, son trésor, louant mes charmes alors même qu’il
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