Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
la condamnation de Jeanne d’Arc pour hérésie et ainsi la mettre sur la voie de la canonisation.
Rocco émit un son qui n’était pas sans évoquer le gloussement.
— Je dois aller m’occuper du four, bredouilla-t-il en m’adressant ce qui me sembla être un regard bien appuyé. Le feu n’attend personne.
Il était déjà dans la cour que je continuais à me demander s’il fallait chercher un avertissement caché dans ses paroles. Morozzi semblait mal à l’aise, mais également peu enclin à débattre du dogme avec moi. Ou peut-être avait-il simplement hâte d’en finir avec ce qu’il était venu faire ici.
Il prit une profonde inspiration, et sembla se détendre quelque peu. Tout au moins, mon apparence physique ne l’indisposait plus.
— Que savez-vous exactement des activités de votre père, signorina ? demanda-t-il dans un souffle.
Étant donné que je me posais la même question à son propos, je lui répondis avec circonspection.
— J’en sais suffisamment. Pourquoi souhaitiez-vous me voir ?
— Sa mort a été une grande perte.
— Vous me l’avez déjà dit. (Pour anxieux que Morozzi semblât, je n’étais guère disposée à le ménager plus longtemps.) Dites-moi ce que vous savez à propos du meurtre de mon père.
Ma demande impérieuse – car on ne pouvait s’y tromper – le surprit. Manifestement, il avait supposé un peu vite qu’il mènerait la conversation. Mon instinct, affûté par tant d’années passées sous le toit d’Il Cardinale, me poussait à l’en empêcher.
— C’est un événement tout à fait tragique…, bafouilla-t-il en guise de réponse.
— Je sais tout cela. Dites-moi qui l’a ordonné.
Le prêtre parut pris de court. Sa beauté, au même titre que sa charge sacrée, lui assurait d’être traité avec le plus grand respect par toute femme ou presque qui venait à croiser sa route. Il n’était visiblement pas habitué à recevoir pareil accueil, mais (et c’est tout à son honneur) il se reprit rapidement.
— Vous ne le savez donc pas ?
— Peut-être que oui, peut-être que non. Que savez-vous, vous ?
Ainsi que je l’ai déjà évoqué, un homme soumis à la torture dirait n’importe quoi pour faire cesser les horreurs qu’on lui inflige, mais cela ne signifie pas que ses aveux soient nécessairement faux pour autant. Toutefois, toute personne sensée chercherait à corroborer ses dires.
— Le pape craignait que dans son empressement à obtenir la papauté, Borgia ait l’intention d’avoir recours aux services de son empoisonneur. En tuant votre père, il a envoyé le message au Cardinal que ce n’est pas ainsi qu’il y arriverait.
L’explication de Morozzi venait simplement confirmer mes soupçons, mais cela me fut tout de même pénible à entendre. Je dus me forcer à poursuivre :
— Pourquoi Innocent n’a-t-il pas ordonné de me tuer, puisque j’ai repris la charge de mon père ?
— Il ne vous craint pas, répliqua le prêtre. Pas autant que votre père. Vous n’êtes qu’une femme.
Que Dieu me vienne en aide, je souris. Innocent aurait toute l’éternité pour méditer sur son erreur.
— Lorsque j’ai compris que votre père et moi avions peut-être un but en commun, reprit Morozzi, je lui ai proposé mon aide. Il a accepté. Malheureusement, son entreprise a échoué. Le… hum… problème demeure.
— Alors, il y a bien eu tentative ?
J’attendis, osant à peine respirer, de savoir enfin si mon père avait véritablement tenté de tuer le pape.
Mais Morozzi secoua la tête.
— Je sais seulement qu’il était prêt à agir. Quelle tragédie qu’il se soit fait tuer avant.
Curieusement, je me sentais soulagée. L’âme de mon père n’était pas entachée par ce péché, tout au moins. Mais dans le même temps, j’étais à présent encore moins certaine que la méthode dont il avait eu l’intention de se servir, selon les dires de Sofia, pouvait réellement fonctionner.
— Que voulez-vous dire par « but en commun » ? demandai-je à Morozzi.
Le prêtre eut l’air surpris.
— Assurément, vous devez savoir ?
— Il est possible que oui, mais j’aimerais quand même vous l’entendre dire.
Voyant que je continuais à le tester, il rougit. Je sentais bien qu’il commençait à perdre patience.
— L’édit… Vous êtes au courant ?
J’acquiesçai d’un signe de tête.
— Et pourquoi vous soucieriez-vous du sort des juifs ?
J’avais dans l’idée que je
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