Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
non. Nous avons très peu de temps.
Je l’assurai du fait que je comprenais l’urgence de la situation, puis le raccompagnai à la porte. Avant qu’il n’ait eu le temps de l’ouvrir, je demandai comme cela, en passant :
— Dites-moi, est-ce vrai ce que l’on entend, le pape boit du sang à présent ?
Je pensai qu’il tenterait peut-être de nier la rumeur, mais je réussis plutôt à l’agacer.
— Innocent est convaincu que cela contribue à le maintenir en vie, mais il s’affaiblit chaque jour davantage.
— Alors peut-être notre Dieu Tout-Puissant, dans Sa miséricorde, l’emportera-t-Il avant qu’il ne puisse commettre d’autres péchés.
Morozzi me jeta un regard perçant.
— Ne comptez pas là-dessus. Comme je l’ai dit, nous devons agir promptement.
Une fois le prêtre parti et la porte refermée derrière lui, je me laissai aller en arrière contre celle-ci et pris plusieurs inspirations. Je me sentais faible sur mes jambes, et mis un long moment à retrouver mon calme. À tous égards, l’entrevue avait été une réussite. J’avais à présent le moyen d’atteindre le pape. Mais j’avais également davantage de questions qu’auparavant.
Pourquoi mon père n’avait-il pas dit à Morozzi comment il comptait tuer Innocent ? Avait-il une quelconque raison de ne pas faire confiance au prêtre ?
Rocco arriva sur ces entrefaites, en ayant terminé avec son feu. Je me sentis démunie face à l’envie subite qui me prit de chercher le réconfort entre ses bras. À défaut, je ramenai les miens contre ma poitrine dans un vain effort pour m’apaiser.
Il n’hésita pas à une seconde, comblant prestement la distance entre nous. Il se tenait à présent devant moi, si près que je voyais son torse puissant se soulever et retomber calmement à chaque respiration. La situation était catastrophique mais pour autant il conservait une force tranquille, et je ne pouvais que l’envier.
— Qu’a dit Morozzi ? m’interrogea-t-il.
J’étais en train de livrer bataille à ma conscience. La solution de facilité était d’en dire le moins possible à Rocco. Ainsi descendons-nous par petits pas plaisants l’escalier qui nous mène à la damnation. Mais je lui devais davantage que cela.
— Qu’il va m’aider.
Ma réponse le fit pâlir et pendant un instant je crus qu’il allait me crier son indignation. Il aurait eu raison, manifestement. Ce que j’envisageais de faire était scandaleux. Certes, à travers les époques des papes étaient morts de toutes sortes de manières douteuses, et même probablement davantage qu’on ne le soupçonnait. Mais cela, c’était le passé ; en revanche, ceci , c’était le présent.
Et c’était moi, Francesca Giordano. La fille de l’empoisonneur. Une femme seule qui s’était mis en tête de bouleverser la chrétienté.
— Tu n’as qu’un mot à dire, proposai-je, et je ne reviendrai jamais ici.
L’espace d’un instant, je craignis que Rocco ne me prenne précisément au mot. Pour sûr, il n’avait aucune raison de continuer à aider la femme qui l’avait rejeté. Mais c’était sous-estimer le courage d’un homme bon, qui croyait encore en l’Église et au pouvoir qu’elle avait de nous sauver tous, pour peu qu’on réussisse à la sauver d’abord.
Ses larges mains, si puissantes et pourtant capables du contact le plus délicat, se refermèrent sur mes épaules. Avec le plus grand sérieux, il me déclara :
— Ne dis plus jamais une chose pareille. J’étais l’ami de ton père, et je suis le tien. Ce qu’Innocent a l’intention de faire est diabolique. Aie foi, Francesca. Dieu t’a choisie pour l’arrêter.
J’étais convaincue que Rocco n’aurait jamais dit pareille chose s’il n’avait ne serait-ce que soupçonné ma véritable nature – cette noirceur en moi, qui hurlait au sang et à la mort. Mais, faible créature que j’étais, je lui étais simplement reconnaissante de me voir sous ce jour, quand bien même fallacieux.
Alors il me laissa aller, moi lui murmurant des adieux, lui me répétant que sa porte serait toujours ouverte.
Soulagée de voir combien les choses avaient avancé, de même que sensiblement effrayée à l’idée du cap vers lequel je me dirigeais à présent irrévocablement, je rentrai furtivement au palazzo. À peine avais-je regagné mes quartiers que Vittoro se présenta à ma porte pour me dire que Madonna Lucrezia requérait ma présence.
13
Y a-t-il quelqu’un à
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