Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
ma chute ne dépassa probablement pas les trois mètres. Une fois dans l’eau, je coulai rapidement. Mes pieds touchèrent une surface d’une répugnante douceur, qui sembla vouloir m’entraîner. De toutes mes forces je nageai vers la surface, me frayant un passage à travers une épaisse couche de dépôt visqueux.
Une fois la tête hors de l’eau, je me secouai comme une démente pour en faire partir le plus possible, avant d’ouvrir les yeux et de reprendre mon souffle. La puanteur était accablante. Je me mis à nager vers la rive opposée, pour constater une fois rendue que le niveau de l’eau était bien plus bas que celle-ci. Pendant quelques secondes atroces, je crus être de nouveau prise au piège. Lorsque j’aperçus le reflet de barreaux en fer fichés dans la pierre, je faillis pousser un cri de soulagement.
Le temps que je me hisse tant bien que mal en haut de la petite échelle et que je m’effondre sur la rive herbeuse faisant face au castel , David s’était laissé tomber à son tour. J’attendis, osant à peine respirer, qu’il refasse surface, puis lui indiquai d’un geste les barreaux. Il me rejoignit (aussi dégoulinant de matière visqueuse et malodorante que moi) et nous nous mîmes à courir en direction des berges du fleuve.
— Le pont est gardé, dit David en se ruant. On ne pourra pas traverser à cet endroit.
Il avait raison, manifestement. Regardant désespérément autour de moi, je pointai soudain le doigt au loin.
— Le pont Sisto, à cinq cents mètres d’ici en amont, si on arrive à l’atteindre.
Et s’il n’était pas occupé par des condottieri, bien entendu.
Nous avançâmes aussi prudemment que possible, nous faufilant discrètement dans l’ombre des buissons qui parsemaient les berges. Le fleuve était à marée basse, ce qui ne faisait qu’accentuer la pestilence, mais Dieu merci mon nez était vite devenu complètement insensible. Nous nous enfoncions à chaque pas dans une boue qui ralentissait notre course. Par deux fois je trébuchai, et serais tombée si je n’avais été fermement rattrapée par David. À l’endroit où l’eau d’un égout construit dans l’Antiquité venait se déverser dans le fleuve, nous dérangeâmes une colonie de rats qui détalèrent tout autour de nous, leurs couinements aigus envahissant l’obscurité. Dans d’autres circonstances, la scène m’aurait glacée d’horreur. Mais après tous les événements de la nuit et l’immense danger qui planait toujours sur nous, je ne fis pas plus de cas des rongeurs que David et nous continuâmes notre course, les faisant fuir de plus belle, telle une grande mer grise s’ouvrant devant nous.
— Nous devons prévenir Rocco, dis-je tout en courant.
Et, s’il vous plaît mon Dieu, faites que ce soit à temps.
Lorsque nous arrivâmes en vue du pont Sisto, David me prit le bras et me fit accroupir auprès de lui. Nous scrutâmes alors minutieusement les lieux, à la recherche d’un signe indiquant qu’ils étaient gardés. Le commandant du castel aurait pu envoyer des hommes sécuriser le pont, et ce serait même certainement le cas si Vittoro s’était trompé. Mais s’il avait raison, si parmi la garnison il y avait des sympathies pour Borgia…
— L’endroit est désert, confirma David.
Nous le traversâmes à la hâte, main dans la main. Au bout se dressait l’ancienne muraille de Rome, que l’on avait érigée pour protéger la cité des hordes de barbares. Elle avait si lamentablement échoué dans sa mission qu’on l’avait jugée indigne d’être reconstruite. Nous passâmes par ce qui aurait été autrefois l’une de ses portes, et pressâmes encore un peu plus le pas.
Quelques minutes après, nous débouchâmes sur le Campo dei Fiori. Plusieurs tavernes et bordels autour du marché étaient encore ouverts, mais mis à part cela tout était calme. Nous parvînmes à la rue des verriers, nous immobilisant de nouveau pour nous assurer qu’aucun garde n’avait été posté là.
Tout semblant normal, nous prîmes une petite ruelle qui nous mena à l’arrière de l’échoppe de Rocco. Je frappai discrètement à la porte et chuchotai :
— Rocco… C’est nous.
La porte s’ouvrit aussitôt à la volée. Le verrier était ébouriffé et semblait épuisé, mais également infiniment soulagé de nous voir. « Francesca ! » s’exclama-t-il tout en s’avançant pour me prendre dans ses bras – mais faisant brusquement un pas en arrière
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