Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
lorsqu’il se rendit compte que je puais.
— Où as-tu… Qu’est-ce que… ?
Un peu perdu, il finit par faire un pas de côté pour nous laisser passer.
Une fois la porte bien refermée derrière nous, Rocco alluma une lampe et prit le temps de nous observer longuement tous deux. Je n’ose imaginer le spectacle que l’on devait offrir, mais je ne me souviens que trop de notre odeur.
— On a dû plonger dans les douves du castel , expliquai-je. Mais peu importe. C’était un piège. Morozzi ne fait pas partie des nôtres : c’est un fou qui veut faire tomber Borgia et tuer le peuple juif. On doit partir d’ici, tous les trois et maintenant.
Force est de le reconnaître, face à une telle demande Rocco n’hésita pas une seconde. Soufflant sur la lampe pour l’éteindre, il s’empara de sa cape et dit simplement :
— Allons-y.
— As-tu une idée d’un endroit où nous pourrions aller ? demanda David tandis que nous sortions précipitamment de l’échoppe et repartions dans la nuit.
— Je n’en vois qu’un seul, répliqua Rocco, et sans autre explication il partit au trot. David et moi suivîmes, l’allure à laquelle on allait nous laissant trop essoufflés pour poser de questions. Nous laissâmes le Campo derrière nous et nous glissâmes dans l’ombre du Panthéon, le seul monument antique à Rome qui, n’ayant pas subi de déprédations, vient nous rappeler à quoi la grandeur ressemble réellement. Quelques rues plus loin, nous débouchâmes sur Piazza Minerva, consacrée à la déesse de l’Antiquité.
Tout au long du trajet nous avions pris soin de raser les murs et de tendre l’oreille, au cas où une patrouille approcherait. Il était tard à présent, et les voyous payés pour harceler les honnêtes gens, las de parader en ville pour montrer combien ils étaient forts, s’étaient retirés dans les tavernes qui restaient ouvertes toute la nuit. La poignée d’entre eux qui ne finiraient pas ivres morts ressortiraient dans quelques heures, revigorés par l’âpre vin rouge d’Ombrie et plus dangereux que jamais.
Nous devions trouver refuge avant que cela n’arrive. L’instant d’après, je compris où Rocco nous emmenait.
— Es-tu sûr de toi ? lui demandai-je à voix basse, dans l’espoir que David n’entendrait pas l’incertitude pointer dans ma voix.
De tous les lieux où nous aurions pu nous cacher (David, plus encore), venir ici .
Sainte-Marie-de-la-Minerve, église dominicaine érigée sur les fondations d’un temple dédié à la déesse de la sagesse, fait office de chapitre de l’Ordre à Rome. Le corps de ma chère sainte Catherine y est enterré – mais pas sa tête, que l’on a rapportée à Sienne. Pour ma part je trouve l’idée plutôt dérangeante, mais ce compromis semble satisfaire ses disciples ici comme là-bas.
— J’ai un ami, ici, dit simplement Rocco.
Il me restait à espérer qu’il dise vrai.
C’est à déplorer mais de fait, de nombreuses églises (à Rome comme ailleurs) sont fermées la nuit pour empêcher leur spoliation. Si vous êtes en manque de nourriture spirituelle, vous êtes donc prié d’attendre jusqu’au petit matin. Mais telle est la puissance des dominicains (et la crainte qu’ils inspirent), que cette règle ne s’applique pas à la maison que la Mère de notre Seigneur et la déesse de la sagesse se partagent.
Nous nous étions arrêtés devant une petite porte latérale surmontée d’un linteau de pierre où étaient sculptés des chiens à la chasse, incarnations en image du fameux jeu de mots sur dominicanes (« dominicains » en latin), dont le sens se transforme en « chiens du Seigneur » quand on l’écrit domini canes . L’espace d’un instant, je craignis que David ne refuse d’entrer. L’extrême dégoût et la méfiance se lisaient clairement sur son visage.
Je lui pris la main et lui déclarai :
— Rocco est un homme bon. Je mettrais ma vie entre ses mains. Et n’oublie pas qu’il se met lui-même en danger en venant ici.
David ne parut guère convaincu mais céda devant mon insistance. Nous pénétrâmes donc dans la nef latérale, non loin de l’autel consacré à la Mère de notre Seigneur. L’unique source de lumière était des cierges brûlant devant la statue de la Vierge. Je m’étais déjà rendue dans cette église, mais j’avais oublié combien l’intérieur était beau et contrastait si radicalement avec la simplicité de sa façade extérieure. Les
Weitere Kostenlose Bücher