Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
ta respiration. On sait que les eaux stagnantes causent la dysenterie, mais pour sûr, ce qui macère là nous tuera.
— Dommage qu’on n’ait pas pu en donner à boire à Innocent, ironisa-t-il d’une voix tendue.
Vittoro se tenait prêt. L’inquiétude se lisait dans ses yeux, et je fis l’effort de lui sourire.
— Ne t’inquiète pas, tout se passera bien. Tu ne nous as pas arrachés des griffes de Morozzi pour que je me noie dans quelques centimètres d’eau croupie.
— Je prie pour qu’il en soit ainsi, répondit-il d’une voix bourrue.
Je tendis le bras et lui serrai la main.
— Mon père te considérait comme un ami. Maintenant, je comprends pourquoi.
— Giovanni serait fier de toi, rétorqua Vittoro. N’importe quel père le serait.
J’en eus le cœur serré. Je hochai la tête, une fois, puis pris la plus grande inspiration possible. Mettant mon sort entre les mains de Dieu, de saint Michel et, par-dessus tout, du brave soldat qui n’avait pas hésité à pénétrer dans l’antre du lion pour sauver une pécheresse, je descendis dans la cheminée. Instantanément, il commença à faire moite. De très loin en dessous, l’odeur âcre d’excréments, ordures, vase, carcasses d’animaux, et Dieu sait quoi d’autre qui tombait ou était jeté dans les douves me saisit. Ma gorge se contracta et je tentai d’oublier l’absence de terre ferme sous mes pieds, ainsi que les protestations de plus en plus vigoureuses de mes côtes, que je malmenais beaucoup ces derniers temps, décidément.
Bien trop vite, la lumière au-dessus de moi diminua au point de n’être plus qu’un minuscule carré, et je me retrouvai dans le noir total. Vittoro faisait glisser la corde très lentement. Craignant qu’il ne lui reste plus assez de forces pour faire descendre David après moi, je m’appuyai contre la paroi comme il me l’avait dit, et continuai péniblement ma descente. L’opération était éprouvante aussi bien mentalement (elle requérait beaucoup de minutie) que physiquement, car je ne cessais de me râper contre les pierres anguleuses, dans ces ténèbres qui m’avaient envahie de toutes parts. Je ne dirais pas qu’il m’est difficile de rester dans des espaces étroits (comme certaines personnes, ai-je entendu dire), mais ce genre d’environnement a tendance à m’évoquer mon cauchemar, ce dont je me serais volontiers passée en cet instant-là.
Je tentai de me reprendre en fermant les yeux. Derrière mes paupières closes je vis l’éclair de l’acier s’abattre sur moi, et pendant le plus bref des instants je crus sentir l’odeur du sang. Je rouvris les yeux aussitôt et découvris que je m’étais suffisamment habituée à l’obscurité pour distinguer les pierres rugueuses responsables de mes écorchures. En regardant attentivement, je parvins à mieux placer mains, genoux et pieds, et ainsi à me faire moins mal.
En constatant que le boyau était suffisamment large pour que David y passe, j’avais repris courage, même si je craignais toujours de rencontrer quelque obstacle avant d’en voir le bout. Mais au fur et à mesure que ma descente se poursuivait sans incident, je me dis que mes prières avaient été exaucées. Puis ce fut l’excitation lorsque je me rendis compte que j’apercevais une faible lueur sous moi, là où le conduit se finissait. J’étais en train de me préparer psychologiquement au moment où la corde me ferait descendre dans l’eau pestilentielle, lorsque tout à coup celle-ci s’arrêta net, stoppant ma descente. De très loin, j’entendis Vittoro pousser un juron.
Il me fallut quelques secondes pour comprendre ce qu’il se passait. La corde était trop courte : je n’irais pas plus loin. Si Vittoro me remontait dans la réserve à huile, tous ces efforts auraient été vains, et nous serions toujours pris au piège.
Je tentai de me caler tant bien que mal contre une paroi, et de déplacer mon poids sur mes pieds et genoux pour donner un peu de mou à la corde. Laborieusement, je la fis passer par-dessus ma tête. Pendant un instant, je la serrai dans mes deux mains. Je n’avais aucune idée de la distance qui me séparait des douves, ni de leur profondeur et si elle suffirait à amortir ma chute. Mais ce n’était pas comme si j’avais le choix, n’est-ce pas ?
Je pris la plus profonde inspiration possible, fermai fort les yeux et la bouche, et me laissai tomber.
Je crus que mon cœur allait s’arrêter de battre, mais
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