Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
possible pour sa fille unique. Il n’avait qu’un seul but, dans tout ce qu’il faisait : la gloire toujours plus grande de La Famiglia. Peut-être croyait-il vraiment que par l’avancement des Borgia, il apporterait quelque chose de bon à l’Église et à la chrétienté. Peut-être s’en moquait-il au contraire complètement. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de La Famiglia guidait ses moindres pas. Mais qui pouvait savoir si cela ferait un jour le bonheur de Lucrèce ?
— Il faut s’en remettre à la volonté de Dieu, tranchai-je. À présent, je dois parler à Madonna Adriana. Voulez-vous venir avec moi ?
Nous continuâmes à parler tout en progressant dans le dédale de galeries remplies de statues, certaines récentes, d’autres récupérées dans les chantiers de fouilles qui étaient en train de se multiplier en ville. En chemin, je tentai d’évaluer si Lucrèce avait une quelconque idée de mon changement de statut depuis la veille. La jeune fille ne le mentionna à aucun moment, et continua son joyeux bavardage. Si par bien des aspects elle restait une enfant, la fille du Cardinal faisait preuve d’une étonnante maturité quand il s’agissait de garder ses pensées pour elle. Il était impossible d’avoir une quelconque certitude sur ce qu’elle savait, ni comment elle le savait.
Enfin nous arrivâmes à l’aile du palais occupée par la famille d’Il Cardinale. Le garde posté à l’entrée nous salua au moment de franchir les hautes portes en bronze. Elles révélèrent un monde de fontaines rafraîchissantes, de jardins embaumés, de boudoirs drapés de soieries, de salles de réception tout en dorures et si féminines que je les avais rebaptisées il harem . Là où le Cardinal, prince de la sainte Église catholique, l’un des hommes les plus puissants de toute la chrétienté, venait oublier les soucis de la journée et trouver le réconfort auprès de ses femmes.
Et quelles femmes c’étaient ! Outre l’adorable verve de sa fille unique, il jouissait de la compagnie de sa cousine, Madonna Adriana de Mila, veuve de feu le seigneur de Bassanello, qui faisait autorité dans la maison. Sa plus grande vertu, et pas des moindres, était l’esprit pratique. Madonna Adriana était si sensée de nature qu’elle n’avait opposé aucune objection lorsqu’Il Cardinale avait pris comme maîtresse l’étonnante Giulia Farnese, Giulia la Bella comme on l’appelait, dont on disait qu’elle était la plus belle femme de toute l’Italie – si ce n’était du monde. Le fait qu’elle soit également l’épouse du beau-fils d’Adriana aurait pu susciter quelque désapprobation de sa part. Mais comme toujours, La Famiglia eut le dessus. Adriana accepta d’expédier son beau-fils dans sa propriété à la campagne, afin de laisser le champ libre au Cardinal, soixante et un ans, de profiter des charmes de la jeune Giulia, dix-huit ans, elle-même ravie d’y consentir.
Les deux femmes, assises dans le jardin intérieur à l’ombre d’un platane, étaient en train de siroter une limonade fraîche tout en observant les cabrioles auxquelles s’adonnaient deux jeunes bichons maltais dans l’herbe. Des nègres coiffés de turbans ourlés de perles et vêtus de culottes bouffantes en soie se tenaient derrière elles, les éventant à l’aide d’une paire de vraies plumes d’autruche blanche.
Lucrèce se précipita vers elles, s’assit lourdement sur le banc dans un éclat de rire, aux côtés de Giulia, puis demanda quelque chose de frais à boire. Je restai en arrière, attendant que l’on signale ma présence. Madonna Adriana me jaugea un long moment avant de désigner d’une main parée de bijoux le tabouret à ses pieds.
— Nul besoin d’être aussi formelle, cara . Assieds-toi, raconte-nous les dernières nouvelles.
Je fis ce que l’on me demandait, lissant ma jupe tout en murmurant « Grazie, Madonna ».
— Quelle chaleur, soupira Giulia. (Elle pencha son fin cou en arrière et s’étira langoureusement.) J’ai le plus grand mal à garder les yeux ouverts.
Rien de surprenant à cela, la rumeur voulant qu’elle fût enceinte. Le Cardinal en était ravi, disait-on. Il avait eu je ne sais combien d’enfants de diverses maîtresses, mais il avait à n’en pas douter ses favoris. Celui de La Bella viendrait probablement allonger la liste.
Je ne pus m’empêcher de dévisager Giulia avec fascination. Elle était réellement la plus belle femme qu’il
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