Francesca la Trahison des Borgia
parcourus rapidement : le document stipulait qu’une certaine Sofia Montefiore (juive) était autorisée à me voir, et de surcroît à me parler en privé. Or, en l’examinant de près, on voyait bien que le papier avait été blanchi pour effacer le message précédent, dont on décelait de vagues traces par-dessous. Quant au sceau et à la signature, à ce que j’en voyais c’étaient bien ceux de César.
— Que disait la lettre, au départ ? demandai-je en levant le papier vers la lumière. Pour impatiente que je sois de mettre fin à mon attente, l’arrivée de Sofia m’avait prise au dépourvu et j’avais besoin d’un peu de temps pour contenir mes émotions et remettre un peu d’ordre dans mon esprit.
— Que César Borgia autorisait Luigi à transférer des fonds d’une banque à une autre. Peu importe ; le principal, c’est qu’elle ait pu nous resservir. Comment te sens-tu, en vrai ?
Je reposai le papier et lui fis un sourire.
— Je ne me plains pas, à part que je deviens folle d’ennui. Et toi ?
— C’est à peine si j’ai eu le temps de dormir. J’ai passé la moitié de mon temps à me disputer avec David, et l’autre à tenter d’établir le plus sûr moyen de mener ton projet à bien. À nous deux, nous avons attrapé une bonne migraine, à force de nous creuser la tête pour trouver une alternative.
— Et est-ce le cas ?
Je ne posais pas la question pour la forme ; même à ce stade j’aurais envisagé toute autre possibilité, pour peu qu’elle soit sérieuse.
— Non, reconnut-elle. (Je remarquai que ses mains étaient serrées devant son ventre, au point que les jointures en étaient devenues blanches.) Il y a autre chose que tu devrais savoir. Ces derniers jours, quelqu’un a fait circuler des rumeurs dans l’intention manifeste de jeter le discrédit sur le cardinal della Rovere. Partout en ville, on raconte que sa soif de pouvoir est si grande qu’il se fiche bien de voir les Français ravager notre pays avec une guerre, du moment qu’il devient pape. David pense que les responsables sont à chercher du côté de la Fraternité. Ils attiseraient le feu en prévision de l’élection prochaine d’un nouveau pape.
— Tu veux dire en prévision de la mort de Borgia ?
Sofia acquiesça d’un signe de tête.
— Tout indique qu’une attaque contre le pape est imminente. Et il semblerait que della Rovere se soit grandement fourvoyé dans cette affaire. Dès qu’il fera mine de réclamer la papauté, la populace envahira les rues pour l’arrêter.
Les Romains étaient tristement célèbres pour se livrer à des actes séditieux dès qu’ils apprenaient la mort d’un pape, comme le pillage des propriétés de tout individu considéré comme futur candidat à la papauté, cela afin de rappeler le plus clairement possible à leurs dirigeants que la volonté du peuple ne se laissait pas si facilement piétiner. En des temps aussi incertains, il était tout à fait possible que le Sacré Collège finisse par se sentir si menacé qu’il n’ose s’élever contre les citoyens en colère.
— Mais il y a pire, ajouta-t-elle. On entend également dire que l’émissaire espagnol, de Haro, a reçu des instructions très précises du roi Ferdinand et de la reine Isabelle : si Borgia venait à mourir leur soutien irait aux chiens du Seigneur, et en aucun cas à un allié de la France.
Ce qui laissait à supposer que Leurs Majestés très catholiques avaient au moins une vague idée de ce que projetait de faire Savonarole. Vraiment j’évoluais dans un nid de vipères, et c’était à se demander comment il se faisait qu’ils ne s’étaient pas encore entre-dévorés.
— Il y a bien d’autres candidats…, hasardai-je sans conviction. Hormis quelques pieux vieillards, tous les princes de l’Église se sentaient amplement autorisés à la posséder, tel un maître arrogant et sa jeune soubrette. Mais je doutais qu’il y en ait même un pour barrer courageusement le passage à une foule en colère, qui plus est soutenue par la puissante Espagne. Et pendant qu’ils tergiverseraient, Savonarole l’emporterait.
Je vis les larmes briller dans les yeux de Sofia juste avant qu’elle ne détourne la tête, mais lorsqu’elle reporta son attention sur moi il n’y avait plus que de la résolution dans son regard. Nous savions toutes deux ce qui devait être fait.
— Je devrais rester avec toi.
— C’est impossible, ta religion ferait
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