Francesca la Trahison des Borgia
tentai de lui répondre, je n’en ai aucun souvenir. Était-ce le vin, le bon repas, ou le fait d’avoir été bordée comme l’enfant que je n’avais jamais été, toujours est-il que je dormis d’un sommeil profond et, Dieu soit loué, sans rêves. Ce furent les balayeurs et les ramasseurs de fumier qui me réveillèrent le lendemain, à l’aube.
Deux jours passèrent. Portia vint me voir régulièrement, pour emmener Minerve au jardin, m’apporter à manger et me tenir compagnie. Jamais elle ne mentionna mes piètres excuses avinées, si tant est qu’elle ait gardé l’incident en mémoire. Je soupçonnais Luigi de lui avoir demandé de garder un œil sur moi, mais je savais aussi pertinemment qu’il ne lui aurait jamais soufflé mot de ce que nous projetions de faire. Mon sentiment de culpabilité envers elle ne me quitta donc jamais, pendant que nous bavardions, faisions la cuisine, jouions aux cartes.
Portia avait en effet apporté des carte de trionfi qui, d’après elle, étaient la réplique exacte d’un jeu fabriqué pour les Sforza par un grand devin. La future belle-famille de Lucrèce était effectivement connue pour se contenter uniquement du meilleur, mais aussi chercher à prédire l’avenir dans les cartes — même si je ne peux ajouter foi à cette rumeur.
Dans mon petit appartement, Portia et moi jouâmes à une version simple du jeu, prenant et reposant les cartes, dans le but de trouver les combinaisons les plus intéressantes. Elle se montra meilleure que moi, ou peut-être plus chanceuse. Main après main, je retombais sur le fâcheux duo de Jupiter et de Mars, le père et le fils, tous deux se disputant éternellement le pouvoir à travers l’Univers. Pire encore, Mercure ne cessait d’apparaître — ce dieu malin, si adroit pour apaiser Jupiter et contrecarrer les plans de son frère Mars. Eussé-je été encline à cela, j’aurais fini par m’imaginer que les cartes auguraient d’événements qui dépassaient largement le cadre d’un simple amusement. Mais au vu de mon caractère j’étais tout bonnement contente d’une telle diversion, car le temps passait bien lentement, pendant que j’attendais des nouvelles de Sofia.
29
Au troisième jour de mon incarcération, dans la matinée, Portia était partie s’acquitter de ses autres obligations lorsqu’une soudaine clameur en bas me fit tendre l’oreille. Je me trouvais dans un état d’ennui et d’anxiété extrêmes, et aurais été prête à tout pour quelque diversion. J’ouvris donc ma porte, pour voir Sofia monter les marches d’un air affairé, un garde rougissant sur ses talons.
— Toutes mes excuses, Donna, s’écria-t-il. Je ne voulais pas manquer de courtoisie…
— Bande d’incapables, vous ne reconnaissez même pas le sceau de votre propre maître, rétorqua-t-elle sans même regarder en arrière. Et il faut vous fourrer ses ordres sous le nez pour que vous soyez au courant de ce qu’il se passe. À quoi bon se donner autant de mal, je vous le demande !
Il n’eut pas le temps de se justifier qu’elle était déjà devant ma porte. Elle m’observa de la tête aux pieds, puis hocha la tête.
— Au moins, tu manges. C’est bien. J’en frémis d’avance, si je devais signaler au Signore César que tu n’es pas bien traitée.
— Mais elle l’est, protesta le garde. La portatore vient la voir plusieurs fois par jour avec les mets les plus raffinés, du vin, toutes les distractions possibles et imaginables. Vraiment, nous avons fait de notre mieux pour nous occuper de la… (Il s’arrêta soudain, me regardant craintivement ; à l’évidence il serait imprudent de m’appeler strega, mais quel autre terme conviendrait-il ?)… prisonnière.
— La prisonnière ! répéta Sofia en secouant la tête d’un air dégoûté. Et votre maître qui dit partout chercher uniquement à protéger Donna Francesca. Combien de temps croit-il pouvoir tenir avec un tel mensonge, si ses gardes répètent la vérité à tout bout de champ ?
Cette fois-ci le garde devint cramoisi et il écarquilla les yeux. Tout cela m’amusait beaucoup, mais Sofia coupa court à la scène en me prenant par le bras, en m’attirant à l’intérieur et en claquant la porte derrière nous.
Une fois Sofia et moi seules, elle me relâcha et poussa un gros soupir.
— Quel benêt, celui-là.
Elle jeta le papier qu’elle tenait dans les mains sur la première table venue. Curieuse, je le pris et le
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