Francesca la Trahison des Borgia
faire du bruit et à parler toute seule pour que ces nigauds, dehors, ne se doutent de rien.
Elle tendit une main pour m’aider à me relever. Je recrachai un peu de suie, m’essuyai sur ma manche et dis :
— Merci. Je suis désolée de vous donner autant de mal.
C’était ce que je pouvais faire de mieux en termes d’excuses par avance pour le fardeau que j’allais sous peu lui imposer : si mon plan fonctionnait comme je l’entendais, ce serait Portia qui trouverait mon corps. Sa réaction, pour ne pas dire sa foi absolue en mon trépas, était donc cruciale. Pour cette raison je ne pouvais lui souffler mot de mes intentions.
— Vous n’avez pas besoin de vous excuser, Donna, répondit-elle gaiement. Vous êtes de loin la locataire la plus amusante que j’ai jamais eue. Je vous ai apporté les provisions que vous m’aviez demandées. Est-ce que vous avez faim ?
J’étais affamée même, et comme je ne savais pas exactement quand (ou si) je serais à même de remanger, j’acceptai de bon cœur l’offre de Portia quand elle me proposa de faire la cuisine.
— Venez, fit-elle en se dirigeant vers le garde-manger. Je dois vous donner les dernières nouvelles.
Je la suivis volontiers. Après ma difficile entrevue avec Rocco (sans parler du fait que je venais d’organiser ma propre mort, tout de même), je préférais largement avoir de la compagnie plutôt que de me retrouver en tête à tête avec mes fiévreuses pensées. Lorsque la portatore m’ordonna de me laver les mains pour hacher le fenouil, je lui obéis docilement. Minerve vint nous rejoindre, en quête d’une friandise. Elle avait déjà étonnamment changé, par rapport au petit chaton hirsute que j’avais adopté. Je commençai même à me demander jusqu’où exactement elle allait grandir — et si je serais là pour le voir.
Les simples tâches domestiques ont cette capacité à chasser la morosité. Tandis que ma compagne, l’air décidé, s’affairait à nous préparer un bon repas, je m’acharnai sur le fenouil jusqu’à ce qu’il n’en reste quasiment rien. Mon adresse en matière de lames ne s’étendait visiblement pas à la préparation des légumes.
— Les rumeurs vont bon train sur César et vous, m’informa Portia en mettant de l’eau à bouillir au-dessus du petit poêle. Elle y ajouta bientôt de fines bandelettes de pâte faite à partir de farine de blé dur et d’un peu d’eau. D’aucuns prétendent que cet aliment a été introduit en Italie par le vénéré Marco Polo, mais ce ne sont que billevesées. Quoi qu’il ait vu dans le lointain empire de Chine, cela lui a simplement rappelé ce qu’il avait déjà eu l’occasion de déguster dans son pays natal. D’autres disent que nous avons toujours su faire cette pasta, si délicieuse et qui s’accommode avec tout ; d’autres encore affirment que ce sont les Arabes qui nous ont transmis cet art en envahissant la Sicile. Quelle que soit leur origine, les pâtes constituent une nourriture saine et consistante — et confiées aux bons soins de Portia, elles dépassent toutes les espérances.
— Ce qui revient le plus souvent, ajouta-t-elle, c’est que vous avez eu une querelle amoureuse.
— Oh, pour l’amour du ciel.
— Je ne fais que rapporter ce que j’ai entendu. Vous savez bien comment les gens sont friands de ragots.
— Friands de débiter des sornettes, oui. Ils feraient mieux de s’occuper de leurs affaires et de me laisser tranquille.
Comme ils ne manqueraient pas de le faire dès que je passerais de vie à trépas.
Un peu d’huile d’olive, quelques sardines de l’Adriatique (dont les eaux froides produisent les poissons les plus goûteux), le tout accompagné de ce qu’il restait de fenouil, et le festin put commencer. Portia avait même sorti de son panier un vin blanc d’Ombrie, aux notes de miel parfumé.
J’entendis mon estomac grogner.
De crainte que vous ne me preniez pour une sauvage, à me laisser ainsi transporter par des besoins aussi vils à un moment comme celui-ci, permettez-moi de préciser que mon appétit a toujours été capricieux et me fait invariablement l’effet de disparaître sur un coup de tête, pour réapparaître sans crier gare comme un loup sortant d’une grotte à la fin de l’hiver.
Tout en mangeant, la portatore me régala d’histoires sur les hommes affectés à ma garde. Apparemment les malheureux étaient pris au piège entre l’effroi (à l’idée de ce que
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