Francesca la Trahison des Borgia

de toi la coupable idéale. En aucun cas il ne faut qu’on te soupçonne.
    — Qu’en est-il de la portatore ?
    Je lui indiquai d’un geste le fatras de tubes en verre, de cornues et autres creusets que j’avais disposés sur ma table de travail dans l’unique but que pour l’œil inexercé, cela apparaisse tout de suite comme un sinistre présage.
    — Ne dirait-on pas que je me suis adonnée à de viles activités, peut-être même avec l’intention de m’ôter la vie ?
    — Tu veux vraiment être perçue comme une désespérée qui s’est suicidée ?
    — Je veux surtout que les choses aillent vite. Quelle meilleure façon de le garantir ?
    Aucun prêtre ne prierait pour la dépouille de pareille créature ; aucune messe ne saurait être dite. Une fois que j’aurais été vue morte par des gens dignes de foi, qui ensuite feraient passer le mot, Luigi serait libre de me faire enterrer en hâte dans le tombeau familial — hâte qui, eussé-je succombé dans la grâce de Notre Seigneur, aurait au contraire été qualifiée d’inconvenante.
    — Je suis obligée de te demander une nouvelle fois de considérer la chose de nouveau.
    — Même après ce que tu viens de me dire ? Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a pas d’autre moyen.
    — Mais si j’ai commis la plus petite erreur…
    — Je suis absolument certaine que non. À présent je t’en prie, pour toi comme pour moi, ne tardons pas davantage.
    Car vraiment, je sentais que je ne supporterais pas la situation beaucoup plus longtemps. Un sentiment de grande urgence s’était éveillé en moi, qui me poussait à embrasser le destin qui m’attendait — quel qu’il soit.
    Les lèvres de Sofia bougèrent, mais n’émirent aucun son. Je me demandai si elle priait le dieu d’Abraham, implorait qu’il la guide. Pendant un instant je l’enviai, car moi aussi j’aurais aimé pouvoir prier. Je n’ai aucun talent pour cela, et ce depuis toujours, mais il m’arrive encore parfois de ressentir un grand désir qui m’attire bien au-delà de mon simple être, vers quelque chose que j’entraperçois à peine et assurément ne saisis pas du tout.
    Elle glissa une main dans la poche de sa robe et en retira une petite fiole de verre grande comme mon pouce. Je ne pouvais en détacher le regard, proprement étonnée qu’un objet aussi ordinaire puisse revêtir une importance aussi capitale.
    — Te rends-tu compte, si j’ai mal évalué le dosage…
    — Je sais que ce n’est pas le cas. Je n’aurais confié cette mission à personne d’autre que toi.
    La fiole contenait un liquide noir qui semblait absorber toute lumière. Je la pris dans mes mains avec grand soin ; le verre était froid au toucher. Ou peut-être le frisson que je ressentis alors était-il en moi, car l’effroi vint clapoter à mes pieds telle une grande et impitoyable vague qui menaçait soudain de me submerger.
    Heureusement, ma curiosité prit le dessus.
    — Puis-je te demander ce dont tu t’es servie pour parvenir à ce résultat ?
    Je ne répéterai pas ici la liste qu’elle me dressa, car Dieu me garde de vous tenter, vous ou quiconque d’autre, de commettre un péché. Toutefois je peux vous dire que les ingrédients sont rares et difficiles à manipuler, ce qui à mon avis est aussi bien.
    — La potion fera effet presque aussitôt, expliqua-t-elle. Tout ce que j’ai pu lire et apprendre à ce sujet me laisse à penser que ce sera indolore. En revanche, je ne peux dire avec certitude à quel point tu te rendras compte de ce qui t’arrive. Peut-être en auras-tu vaguement conscience pendant un temps.
    Cette idée ne me réjouissait guère, mais il était bien trop tard pour faire marche arrière.
    — Cela n’a pas d’importance, répliquai-je en montrant un courage que je ne ressentais pourtant pas. Je dois le faire, coûte que coûte. Combien de temps faudra-t-il pour que mon corps prenne l’apparence de la mort ?
    — Quelques heures, tout au plus. Tu vas te refroidir et ta peau va devenir très blanche. Ton cœur battra si lentement et faiblement que personne ne sera en mesure de déceler de pouls. Et tu ne montreras plus aucun signe que tu respires.
    — Et cet effet durera… ?
    — Je ne peux te le dire avec certitude. Certainement des heures, peut-être une journée. Suffisamment en tout cas, s’il plaît à Dieu, pour que Luigi emporte ton corps.
    Elle prit une profonde inspiration et je la vis déglutir difficilement, comme